Jain

Livre 3

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Leçons pour les séniors

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Version 1.53 - 2015-10-11
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Chapitre 1
L'âme et le corps

Nous pouvons tous croire à l'existence de l'âme, mais beaucoup se demandent si elle est distincte du corps. Les Jaïns estiment qu'elle l'est. Jusqu'à ce qu'elle soit libérée des karmas, elle réside dans différents corps en fonction de l'état qui était le sien au moment de la fin de sa vie antérieure. Dans la littérature jaïne, l'âme et le corps sont des entités différentes qui ont fait débat entre le moine Keshikumar et le Roi Paradeshi. Le moine Keshikumar appartenait à l'ordre des ascètes de Pārshvanātha (le 23e Tirthankara), bien discipliné, il pratiquait des pénitences de haut niveau et il avait la connaissance avadhi (la clairvoyance) et manah paryaya (la connaissance mentale directe). Le Roi Paradeshi, lui, ne croyait ni à la religion, ni à l'âme.

Un beau matin, la discussion commença lorsque Chitra, le conducteur du char du Roi Paradeshi, amenait celui-ci là où le moine Keshikumar faisait un sermon.

En voyant le moine, le Roi demanda qui il était, de quoi il vivait, ce qu'il buvait, pourquoi il paraissait si robuste et si beau physiquement et quel était le sujet de son prêche pour attirer là tant de monde. Chitra lui répondit « Votre honneur ! C'est le moine Keshikumar de l'ordre de Pārshvanāth qui est de naissance noble et qui possède la quadruple connaissance ».

Comme le Roi et Chitra s'approchaient de l'Ācārya Keshikumar, ce dernier lui dit « Oh Roi ! Vous vous demandiez qu'elle était ce prêche, en criant si fort, et sans laisser personne tranquille et en paix ? ».

Le Roi, étonné, lui répondit « C'est vrai. Mais comment savez-vous cela ? ».

L'Ācārya dit « Oh Roi ! Nos écritures, qui émanent des Jinas sans attaches, affirment que la connaissance est de cinq sortes : mati (par les sens), shruta (par les écrits), avadhi (par la clairvoyance), manah paryaya (par le mental directement) et kevala (omnisciente). J'ai atteint les quatre premières, c'est la raison pour laquelle je peux lire vos pensées ».

Le Roi s'assit et demanda à l'Ācārya « Oh Seigneur ! Les moines jaïns enseignent que le corps et l'âme sont des entités distinctes. Est-ce exact ? ». Keshikumar lui répondit « Oui, nous le croyons ».

Le Roi répliqua « L'âme et le corps ne sont pas distincts, c'est la même chose. Écoutez comment je suis arrivé à cette conclusion. Mon grand-père était aussi roi de cette ville. Il prenait soin des plaisirs de son corps et il pensait qu'il prenait ainsi soin de son âme. Il négligeait ses sujets et pratiquait des activités impies. Pour la religion jaïne, il a dû certainement renaître dans quelque enfer. Je suis son petit-fils bien aimé et je mène une vie semblable à la sienne. C'est pourquoi, comme il m'aimait, il aurait dû venir me dire « Mon petit-fils ne commets pas de péché par amour de ton corps car le corps et l'âme sont distincts. Je souffre maintenant en enfer car je me suis trompé » Mais, il n'est jamais venu. C'est pourquoi, je crois que le corps et l'âme sont une même chose.

L'Ācārya lui demanda « Que feriez-vous si un jeune homme se permettait des plaisirs sensuels avec votre belle reine ? ».

Le Roi répondit « Oh Seigneur ! Je lui couperais mains et jambes et je le pendrais ».

L'Ācārya lui dit « Oh Roi ! Donneriez-vous une permission de quelques heures à cet homme pour aller dire à ses parents et amis de ne pas commettre un tel acte ? ».

Le Roi répondit « Oh Seigneur ! Cela n'arriverait pas, l'homme serait pendu sur le champ » .

L'Ācārya dit « Oh Roi ! Votre grand-père est en train de subir impuissant le châtiment de ses actions. De même que vous ne permettriez pas à cet homme d'avertir ses amis, les gardiens brutaux de l'enfer ne laisseraient pas sortir votre grand-père, s'il voulait vous avertir. Par conséquent, vous ne pouvez pas conclure que le corps et l'âme sont la même chose ».

Le Roi « Écoutez une autre anecdote qui renforce ma conviction que l'âme n'est pas indépendante. Ma grand-mère avait un esprit très religieux. Elle était tout à fait d'accord avec les moines jaïns et croyait aux principes fondamentaux de l'âme (jīva) et de la matière (ajīva). Elle menait une vie pieuse et pratiquait beaucoup d'austérités. Elle est morte maintenant et, d'après l'opinion jaïne, elle doit être au ciel. Je suis son petit-fils qu'elle aimait, aussi, beaucoup. Elle aurait pu, de là-haut, venir me dire « Oh ! Mon petit-fils, pratique la religion et fais quelque chose pour ton âme et non pour ton corps ». Mais, jusqu'à ce jour, elle n'est pas venue. Aussi, je suis incliné à croire que la corps et l'âme ne sont pas distincts ».

L'Ācārya répondit « Supposez que vous avez pris un bain et que vous portez des vêtements blancs pour aller au temple. Sur votre chemin, quelqu'un qui est aux toilettes (les toilettes ouvertes étaient communes, autrefois) vous appelle pour parler un moment avec vous. Oh Roi ! Feriez-vous cela ? ». Le roi dit « Oh Seigneur ! Je n'irais pas dans un lieu si malodorant et sale ».

L'Ācārya dit « Oh Roi ! De la même façon, votre grand-mère ne viendra sûrement pas vous parler du bonheur dont elle jouit, pour tout ce qu'elle a fait pour son âme, et cela pour les quatre raisons suivantes :

  1. Le monde terrestre sent très mauvais.
  2. Les anges du ciel sont dégoûtés d'une telle odeur et, par conséquent, n'aiment pas descendre sur la terre.
  3. Les anges sont totalement absorbés dans le bonheur céleste et, par conséquent, ils ne le quittent pas, même une minute.
  4. Les anges sont absorbés par une relation amicale avec tous les autres dieux et déesses et ils n'apprécient pas beaucoup les rapports humains.

Même si les anges du ciel, absorbés dans leur bonheur divin, désiraient retourner dans le monde humain, juste pour un tout petit peu de leur temps, ce temps s'interprète en milliers d'années terrestres. Aussi, pendant cela, leurs parents humains, dont la vie est courte, seraient déjà morts et ils n'auraient plus personne à joindre.

Vous pouvez comprendre, ainsi, pourquoi votre grand-mère ne retournera pas vous avertir que vous ne prouvez pas que le corps et l'âme sont une même chose ».

Le Roi dit « Écoutez encore une preuve à ce sujet. Une fois, j'étais assis sur mon trône, et un policier m'amena un voleur pour le punir. Je l'ai empaqueté vivant dans un caisson en fer et j'ai fermé le couvercle très hermétiquement. L'espace entre le couvercle et la partie principale du caisson a été soigneusement soudé, de façon qu'il n'y ait pas le plus petit trou. Après quelques jours, le caisson a été ouvert et l'homme a été trouvé mort. Si l'âme et le corps sont séparés, comment l'âme aurait-elle pu s'échapper du caisson ainsi fermé ? Je maintiens, par conséquent, que le corps et l'âme sont un et que lorsque le corps cesse son activité, il en est de même de l'âme.

L'Ācārya répliqua « Oh Roi ! Supposez qu'un homme avec une cloche et un marteau soit enfermé hermétiquement dans une salle avec un dôme circulaire, les portes bien fermées et plâtrées de tous les côtés, de façon qu'aucun air n'y pénètre. Si l'homme à l'intérieur frappe la cloche avec le marteau, entendrez-vous le son à l'extérieur de la salle ? »

La Roi dit « Oui Seigneur, le son sera entendu ».

L'Ācārya répliqua « Mais, il n'y a aucun trou dans la salle ».

Le Roi dit « Oui Seigneur, même s'il n'y a aucun trou du tout, j'entendrai le son ».

L'Ācārya s'exclama « Oh Roi ! De même que le son a la capacité de s'échapper d'une salle sans trou, l'âme peut le faire d'un caisson hermétique. L'âme a la capacité de percer le métal, la pierre, le mur ou la montagne et de s'échapper ».

Le Roi dit « Votre honneur ! Une fois, j'ai pesé un voleur vivant, puis, je l'ai tué, et je l'ai pesé de nouveau. Je n'ai trouvé aucune différence de poids. Si le corps et l'âme étaient des entités distinctes, j'aurais au moins trouvé un changement, mais tel n'a pas été le cas. Par conséquent, l'âme et le corps sont une seule et même chose ».

L'Ācārya demanda « Oh Roi ! N'avez-vous jamais rempli un sac de cuir avec de l'air ? Y a-t'il une différence quelconque entre le poids d'un sac vide et celui d'un sac rempli d'air ? ».

Le Roi répondit « Non ! Votre Honneur ! Il n'y pas de différence ! ».

L'Ācārya demanda « Oh Roi ! S'il n'y a pas de différence entre un sac vide et un sac plein d'air, cela signifie-t-il que le sac ne contient pas d'air ? Le poids ou la gravité est un attribut de la matière inerte et le toucher est nécessaire pour sa perception. Une matière ne peut pas être pesée, tant qu'elle n'est pas touchée et saisie. Aussi, comment l'âme, qui est distincte du corps et qui ne peut être ni touchée, ni saisie, pourrait-elle être pesée ? ».

Le Roi dit « Oh Seigneur ! Une fois, un voleur condamné à mort a été coupé en morceaux par moi pour chercher son âme. Mais je n'ai pu la trouver dans aucun de ces morceaux, par conséquent, l'âme et le corps ne sont pas des entités distinctes ».

L'Ācārya dit « Oh Roi ! Il est bien connu dans le monde que le feu réside dans les bâtons d'arni (une sorte de bois qui prend feu quant on le frotte). Le feu peut-il être trouvé si le bâton d'arni est coupé en petits morceaux ? Par conséquent, il est stupide de croire que l'âme n'existe pas parce qu'elle n' a été trouvée dans aucun morceau du corps ».

Le Roi dit « Oh Seigneur ! La croyance que le corps et l'âme ne font qu'un était celle de mon grand-père et de mon père et elle m'a été transmise. C'est ma conviction héréditaire, comment puis-je l'abandonner ? ».

L'Ācārya répondit « Oh Roi ! Si vous n'abandonnez pas cette conviction, vous vous repentirez comme le compagnon qui ne s'est pas débarrassé d'un fardeau de barres de fer ».

Le Roi dit « Qui était cet obstiné et pourquoi s'est-il repenti ? ».

L'Ācārya répondit « Oh Roi ! Un certain nombre de personnes, à la recherche de prospérité, partirent dans une forêt. Ils y trouvèrent une mine avec du fer en abondance. Ils parlèrent entre eux de l'utilité du fer, décidèrent d'en remplir des sacs et s'en allèrent. Comme ils s'avançaient dans la forêt, ils trouvèrent une mine de plomb. Le plomb étant plus utile que le fer, tous laissèrent leur sac de fer, et ramassèrent le plomb, sauf un qui préféra ne pas laisser son chargement. Ses compagnons essayèrent de le persuader mais il répondit « j'ai porté cette charge sur une longue distance. Elle est bien attachée, aussi je ne désire pas la laisser pour charger des barres de plomb ». Nos voyageurs allèrent plus loin où ils trouvèrent, les unes après les autres, des mines de cuivre, d'argent, d'or, de pierres précieuses et de diamants. Ils laissèrent le chargement le moins valable et ils emportèrent celui de plus de valeur, à l'exception de celui qui continua à porter les sacs de fer parce qu'il ne voulait pas changer. Plus tard, ils arrivèrent dans une ville où ils vendirent leurs précieux diamants. Cela les rendit très riches et ils furent très heureux. Le compagnon obstiné vendit ses barres de fer et gagna peu d'argent. Il fut très triste alors et commença à penser « J'aurais pu, moi aussi, gagner une ample fortune, si j'avais laissé le fer et ramassé les diamants ».

Ainsi, Oh Roi ! Si vous n'abandonnez pas votre obstination, vous vous repentirez, comme le compagnon qui avait gardé ses barres de fer ».

Ces explications du moine Keshikumar convainquirent enfin le Roi que l'âme est différente du corps.

Chapitre 2
Kashāyas

Le mot kashāya (passion) peut être décomposé en kasha, qui signifie la vie dans le monde, et aya qui veut dire obtenir. Ainsi, son sens littéral est d'obtenir à nouveau la vie dans le monde. Ce qui indique que, tant que nous avons des passions, le cycle de la naissance et de la mort continue.

On distingue quatre sortes de kashāyas : krodha (la colère), māna (l'ego), māya (la tromperie) et lobha (la cupidité). Elles sont groupées en deux catégories : rāga (l'attachement) et dvesha (la haine). Rāga est formé de māya et de lobha, dvesha de krodha et de māna.

Spirituellement, notre but doit être de nous délivrer de la vie dans le monde et de devenir des êtres libérés. Mais, lorsque nous manifestons de l'attachement, de la haine ou des passions pour des objets terrestres, nous gênons le progrès spirituel de notre âme. Tant que nous sommes sous l'influence des passions, notre intellect est irrationnel, nous sommes vicieux par nature. Ainsi, les passions sont les plus grands ennemis de notre âme. Nous devons nous protéger de leurs influences. L'affinité, l'affection, l'hostilité, l'antipathie ou le dégoût, etc. sont leurs causes. Nous manifestons de l'affinité ou de l'hostilité pour les choses, en raison de notre attitude dénaturée, de notre ignorance, de nos perceptions et de nos connaissances fausses. Nous sommes, en tant qu'humains, des opportunistes. Lorsque nous sommes privés de ce que nous désirons, nous réagissons avec colère. De la même façon, si nous n'avons pas la renommée que nous pensons mériter, notre ego est blessé, et nous réagissons en conséquence. C'est pourquoi, en réalité, la colère et l'ego sont causés par ce que nous aimons. Ce sont des formes d'attachement (rāga). En d'autres termes, l'attachement est la seule cause de toutes nos passions. Aussi, ceux qui ont vaincu leur attachement, ce qui veut dire ceux qui n'en ont plus, ont tout conquis. C'est la raison pour laquelle le Seigneur Jina est appelé vītarāga (celui qui n'a pas d'attachement).

Les passions sont causées par la maturation des mohanīya karmas qui ont été accumulés antérieurement. Par conséquent, au lieu de réagir aux situations avec passion, nous devons être tranquilles ou calmes, pour briser le cycle qui provoque de nouveaux karmas. Notre but doit être d'empêcher de nouveaux karmas de venir et de nous débarrasser calmement de l'effet des anciens. Si nous pouvons faire cela, la porte de notre libération s'ouvre.

Les quatre passions sont, à leur tour, subdivisées en quatre groupes, en fonction de leur intensité. Elles sont soit :

  1. anantānubandhy (extrêmement sévères). Dans ce cas, elles font obstacle à la foi et à la conduite justes. Nous ne pouvons pas les atteindre, tant que ces passions ne sont pas éliminées. Leurs effets durent longtemps et agissent avec le darshan mohanīya karma (le karma qui obscurcit la vision juste).
  2. apratyākhyānavaranya (sévères). Dans ce cas, elles gênent le renoncement partiel, mais n'affectent pas la foi juste. Tant qu'elles sont actives, nous ne pouvons pas faire de vœux, même de façon limitée.
  3. pratyākhyānāvaranya (modérées). Dans ce cas, elles gênent le renoncement total (pour être moine ou nonne) mais elles n'affectent pas la foi juste et le renoncement partiel.
  4. samjvalana (légères). Dans ce cas, elles empêchent d'atteindre la conduite juste complète, mais elles n'affectent pas la foi juste et le renoncement total. L'initiation comme moine ou comme nonne et le progrès spirituel sont possibles, mais il est impossible de devenir vītarāga.

Krodha (la colère).

Quand la colère s'échauffe, nous perdons notre sens du jugement et des vertus, comme l'amour et le pardon, sont détruites. La colère survient lorsque quelqu'un met des obstacles à la satisfaction de nos souhaits ou de nos désirs ou abuse de notre confiance. Tout le monde souhaite rester éloigné de ceux qui se mettent facilement en colère. Du fait de la colère, des amis deviennent des adversaires. Personne ne veut aider quelqu'un de coléreux, personne ne l'aime. La colère nourrit la vengeance et, par conséquent, au lieu d'une nature colérique, nous devons en avoir une paisible et indulgente. La colère est nuisible, non seulement dans cette vie, mais elle peut avoir, aussi, des conséquences néfastes dans nos vies futures. Quelquefois, des personnes vertueuses font des colères mais, immédiatement après, elles se calment et demandent pardon aux gens concernés. Dans un tel cas, c'est la bonne façon d'agir, et nous devons faire de même. Le péché causé par la colère peut être effacé, si nous cultivons des vertus telles que le pardon, la pénitence et le repentir.

Lobha (la cupidité).

Une personne cupide n'est pas satisfaite de ce qu'elle a. Pour avoir plus, elle peut employer tous les moyens, sans se soucier des autres. Nous ne devons pas oublier que notre gain est la perte de quelqu'un d'autre et que la cupidité nous empêche de donner et de partager. Nous devons nous contenter de ce que nous avons et seulement posséder selon nos besoins. Nous devons, aussi, favoriser l'habitude d'aider les autres, en leur offrant ce que nous avons. La cupidité détruit la paix et le bonheur, alors qu'en chérissant les autres, ils reviennent.

Māna (l'ego).

Quelqu'un qui est plein de son ego perd le sens du jugement et de la politesse. Un homme fier provoque sa propre destruction. Nous ne pouvons acquérir la connaissance que si nous sommes humbles. L'humilité entraîne de bonnes pensées là où il n'y a pas de place pour l'orgueil ou l'ego. Elle est à la base de la religion. Il est plutôt difficile de manifester des sentiments religieux, aussi longtemps que l'ego persiste.

Māya (la tromperie). La tromperie est responsable d'une vie malhonnête. On perd ses amis à cause d'elle. L'honnêteté nous aide à comprendre la vérité. Une personne malhonnête la comprend peu.

Il y a neuf non-kashāyas (pseudo-passions) qui déclenchent les passions. Ce sont :

  1. Hāshya - le rire et la plaisanterie,
  2. Rati - le plaisir pour les activités sensuelles,
  3. Arati - le déplaisir pour les activités sensuelles,
  4. Shoka - la tristesse,
  5. Bhaya - la peur,
  6. Jugupsā - le dégoût,
  7. Prurushaveda - la cause des désirs sexuels pour les femmes,
  8. Strīveda - la cause des désirs sexuels pour les hommes,
  9. Napumsakavedā - la cause de désirs sexuels pour les hommes et pour les femmes.

La manifestation des non-kashāyas décroît, au fur et à mesure que le progrès spirituel commence. Par conséquent, nous devons faire attention non seulement aux kashāyas, mais aussi aux non-kashāyas.

Chapitre 3
Instincts

Les instincts jouent un rôle important dans notre vie. Ils ont une influence, à la fois, sur notre conduite et sur notre comportement. Les canons jaïns les ont expliqués dans le point de vue philosophique du karma. L'une des disciplines scientifiques modernes, la psychologie du comportement, traite de l'instinct originel sous la forme de tendances naturelles, de mode de vie, d'émotions et de sentiments. Elle corrobore les explications du karma.

Qu'est-ce qu'un instinct ?

Tout d'abord, nous devons comprendre ce mot qui a deux sens. L'un, c'est une émotion, appelée en terme psychologique instinct originel, l'autre, c'est la conscience. Tout ce que nous faisons est influencé par la force irrésistible de ces émotions. En d'autres termes, l'instinct (samjñā) est une tendance particulière dans laquelle se combinent, à la fois, des pensées conscientes et inconscientes. On les qualifie d'émotions. Des causes internes et externes provoquent leur apparition. Leur cause matérielle c'est les karmas. Simultanément, l'environnement externe stimule leur production.

Le « Thananga Sūtra », l'un des « Āgamas », décrit dix sortes d'instincts. Les huit premiers sont des instincts émotionnels ou sentimentaux, les deux derniers proviennent d'un processus particulier de pensée. Ce sont :

  1. L'instinct d'appétit (ahara samjñā),
  2. L'instinct de peur (bhaya samjñā),
  3. L'instinct de copulation (maithuna samjñā),
  4. L'instinct de possession (parigraha samjñā),
  5. L'instinct de colère (krodha samjñā),
  6. L'instinct d'orgueil (māna samjñā),
  7. L'instinct de tromperie (māya samjñā),
  8. L'instinct de cupidité (lobha samjñā),
  9. L'instinct d'imitation (ogha samjñā),
  10. L'instinct de désirs du monde (loka samjñā).

La conduite et le comportement sont le fruit du karma qui trompe (mohanīya karma). Sous l'influence de l'instinct, l'homme modifie ses habitudes et sa nature. C'est la raison pour laquelle la classification ci-dessus peut être facilement comprise à la lumière de la philosophie du karma et des divisions psychologiques.

Les produits des karmas qui trompent sont :

  1. les émotions originelles,
  2. la peur (bhaya),
  3. la colère (krodha),
  4. le dégoût (jugupsā), la haine,
  5. l'envie féminine (striveda), la sexualité,
  6. l'envie masculine (purushaveda), la sexualité,
  7. l'envie mixte (napumsakaveda), la sexualité,
  8. l'orgueil, le complexe de supériorité,
  9. la possession, la cupidité,
  10. la complaisance (rati), l'attachement,
  11. l'insatisfaction (arati), la tristesse.

Une division semblable est donnée, par la psychologue bien connu Mac Dowell, en termes scientifiques. Ce sont :

  1. les tendances originelles, les émotions originelles,
  2. la tendance à l'évasion, la peur,
  3. la tendance à la lutte, la colère,
  4. la tendance à la curiosité, l'impatience,
  5. la tendance à chercher de la nourriture, l'appétit,
  6. la tendance à la paternité, l'affection,
  7. la tendance au dégoût, la haine,
  8. la tendance au sentiment mixte, le sentiment mixte,
  9. la tendance à la copulation, le sexe,
  10. la tendance au préjudice, la supériorité,
  11. la tendance à l'infériorité, le complexe d'infériorité,
  12. la tendance au gain, la possession,
  13. la tendance à la création, la créativité,
  14. la tendance à la mendicité, la pitié,
  15. la tendance à l'humour, le plaisir.

Les divisions données ci-dessus peuvent se résumer en trois catégories. Ce sont :

1) Dans le premier groupe, les instincts d'appétit, de peur, de copulation et de possession. Ils existent chez toutes les créatures dans le monde. Pour cette raison, elles ont faim et elles cherchent à se nourrir. L'instinct d'appétit est général. Une bonne partie de notre vie est véritablement motivée par cet instinct. Un certain nombre de comportements sont, aussi, influencés par la peur. Le sentiment d'être blessé crée la peur. Toutes les créatures ont l'instinct de copulation. De même, l'instinct de possession se trouve chez les êtres humains et chez les animaux. Ils rassemblent ce dont ils ont besoin et ils désirent toujours plus, à cause de lui.

2) Le second groupe comprend la colère, l'orgueil, et la cupidité. Ce groupe d'instincts existe chez tous les êtres vivants, mais ceux-ci sont particulièrement développés et exprimés chez les humains.

3) Le troisième groupe comprend l'imitation et les désirs du monde. Tous les êtres vivants imitent les autres en les regardant et ont aussi des désirs.

Les instincts du premier groupe activent les autres. Par exemple, lorsqu'une personne a faim et que celle-ci n'est pas satisfaite, elle se met en colère. Pour gagner de l'argent les gens emploient des méthodes trompeuses. Dés qu'ils commencent à en gagner, l'avidité s'installe dans laquelle la violence, la corruption, etc. peuvent survenir. Ainsi, on peut dire que le premier groupe d'instincts active les autres ou qu'ils sont en corrélation.

L'origine des instincts.

La question se pose de savoir ce qui est responsable du flux des instincts ? A ce sujet, on distingue des causes internes et externes.

Pour l'instinct d'appétit, la cause interne c'est la génération de la sensibilité et des karmas qui trompent. Les causes externes sont le vide de l'estomac, la vue de la nourriture, la pensée constante aux aliments et la sensation de leur odeur.

Pour l'instinct de peur, les causes internes sont les karmas qui trompent, les causes externes : le complexe d'infériorité, la vue d'évènements qui effrayent et la crainte continuelle.

Pour l'instinct de copulation, les causes internes sont les karmas qui trompent, les causes externes : le raffermissement des muscles et des organes du corps, l'écoute et la lecture de choses liées à la copulation et la pensée constante à celle-ci.

Pour l'instinct de possession, les causes internes sont les karmas qui trompent, les causes externes : avoir déjà des choses, en entendre parler et y penser.

De la même façon, les instincts de colère, d'orgueil, etc. sont exprimés par les karmas qui trompent et activés par des situations externes.

Les impressions des instincts.

Ils sont liés non seulement à nos sentiments mais aussi au fonctionnement des structures physiques et mentales. Ils influencent aussi bien le fonctionnement externe qu'interne du corps. Ils affectent aussi les états mentaux et les sentiments. Nous pouvons comprendre cela comme des changements externes et internes. Les changements externes concernent les expressions faciales et vocales, les postures et les gestes physiques. Les changements internes concernent :

  1. les états d'esprit,
  2. les sensibilités de la conscience,
  3. les réactions psychologiques,
  4. le système nerveux,
  5. la sécrétion des glandes,
  6. la chimie du sang,
  7. l'approche scientifique.

Pendant longtemps, on a cru que le cerveau était la source de l'énergie et le siège des pulsions humaines. Des progrès significatifs en endocrinologie (la branche de la science qui traite du système endocrinien) ont montré, dans les années récentes, que les passions et les expressions influaient sur le système endocrinien.

Le système endocrinien est à la base de la formation de l'habitude, chez une personne. Les habitudes se manifestent dans le système nerveux et cela devient un schéma comportemental. Ainsi, la manifestation et le comportement sont fonctions du système nerveux, mais l'origine - le centre de production - des instincts c'est le système endocrinien. Les glandes endocrines commandent à travers des régulateurs chimiques que l'on appelle les hormones. Les hormones contrôlent les fonctions corporelles. Ces messagers chimiques exercent une profonde influence sur les états d'esprit, les émotions et les motifs comportementaux d'un individu. Ce sont les auteurs primaires qui provoquent les forces puissantes, les instincts, les pulsions, les passions et les émotions de l'homme. A leur tour, ceux-ci génèrent les sentiments et produisent l'action qui satisfait les besoins d'amour, de haine, de peur, etc. Par conséquent, ce peut être, d'un point de vue grossier, ce système endocrinien qui est à la base des instincts, mais ce sont, en réalité, les karmas qui sont responsables de leur production.

Comment les instincts peuvent-ils être modifiés ?

La question qui se pose à nous, maintenant, c'est de voir comment les instincts et les pulsions, les impulsions et les sentiments, peuvent être modifiés ? Sur ce plan, nous pouvons bénéficier de la pratique régulière de la méditation. Il existe, à ce sujet, plusieurs méthodes possibles. L'une d'elles consiste à visualiser la couleur blanche, brillante, au centre de l'illumination, qui se trouve au milieu du front. Si une personne pratique cette méditation de façon constante, il ou elle peut contrôler sa colère et augmenter considérablement son pouvoir de tolérance. Un autre procédé important de méditation, c'est de pratiquer la respiration profonde, qui aide à calmer l'intensité des instincts. Ainsi, une méditation régulière engendre une personnalité équilibrée et cohérente, en diminuant l'intensité des instincts.

Chapitre 4
Ghāti Karma

Si l'âme possède le pouvoir naturel de tout connaître et de tout voir, pourquoi la nôtre ne l'a-t'elle pas ? Si l'âme est détachée et a un pouvoir infini, pourquoi avons-nous de l'attachement et sommes-nous si faibles ?

Les karmas sont les responsables de ces altérations. Ils se divisent en deux groupes : les karmas destructeurs (ghāti) et les karmas non destructeurs (agāthi). Les ghāti karmas voilent la vraie nature de l'âme tant qu'ils sont fixés sur elle. Lorsqu'ils sont détruits, elle montre sa vraie nature de connaissance et de perception parfaites, de non-attachement et de pouvoir infini. Les Arihantas ont détruit ces sortes de karmas, c'est la raison pour laquelle leurs âmes ont ces qualités propres. Nous devons aussi, tous, nous efforcer de les détruire.

Les ghāthi karmas sont au nombre de quatre : 1) jñānāvaranīya karma, 2) darshanāvaranīya karma, 3) antarāya karma, 4) mohanīya karma.

1) Jñānāvaranīya karma (le karma qui obscurcit la connaissance).

Comme son nom l'indique, ce karma voile le pouvoir que l'âme a de connaître. Ceux qui en ont peu sont plus intelligents et apprennent plus facilement, ceux qui en ont beaucoup ont des problèmes pour retenir la connaissance.

Il y a cinq sous-catégories de ce karma : a) le mati jñānāvaranīya karma, b) le shruta jñānāvaranīya karma, c) l'avadhi jñānāvaranīya karma, d) le manah paryaya jñānāvaranīya karma, et e) le kevala jñānāvaranīya karma. Voyons cela plus en détail :

a) Le mati jñānāvaranīya karma obscurcit la connaissance que l'on acquiert par l'usage des sens et de la pensée (mati jñānā). Il bloque ces fonctions. Par conséquent, si quelqu'un en a beaucoup, il est moins intelligent, si quelqu'un en a peu, il est plus intelligent.

b) Le shruta jñānāvaranīya karma obscurcit la connaissance que l'on acquiert en comprenant les mots, les écrits, les gestes (shruta jñānā). C'est la raison pour laquelle certaines personnes peuvent se souvenir des choses après les avoir lues seulement une fois, alors que d'autres ne peuvent pas s'en rappeler, même après plusieurs fois.

c) L'avadhi jñānāvaranīya karma obscurcit la clairvoyance qui permet de voir des choses matérielles plus loin que les yeux le peuvent, sans l'aide des sens ou de la pensée. Certaines personnes sont capables d'atteindre des types variés de clairvoyance (avadhi jñānā).

d) Le manah paryaya jñānāvaranīya karma voile la connaissance des pensées des autres, sans le secours des sens et du mental (manah paryaya jñānā). L'âme qui sera un Tirthankara, dans cette vie, atteindra cette connaissance, au moment de son renoncement à l'existence dans le monde.

e) Le kevala jñānāvaranīya karma obscurcit la connaissance parfaite (kevala jñānā) qui permet de connaître ce qui arrive maintenant, ce qui est arrivé dans le passé et ce qui arrivera dans le futur. Les Arihantas et les Siddhas ont détruit ce type de karma, c'est la raison pour laquelle ils ont atteint la connaissance parfaite.

Certains effets du jnanavaraniya karma sont l'ignorance, l'impossibilité de comprendre, l'incapacité d'apprendre, l'illettrisme et le bégaiement. Ce karma s'acquiert si nous condamnons la connaissance, les savants, les personnes éclairées, si nous faisons preuve de paresse, de mépris ou de dégoût pour étudier et apprendre, si nous manifestons du dégoût pour la connaissance et les choses en rapport avec elle, par exemple, en déchirant les pages ou en jetant les livres.

Ce karma peut être effacé en vénérant la connaissance, en marquant du respect pour les maîtres et les livres, en étudiant régulièrement, avec humilité, les écrits religieux.

Lorsque l'on est complètement débarrassé de ce type de karma, on développe la kevala jñānā et l'on devient Anantajñāni. Notre âme peut connaître tout du passé, du présent et du futur en même temps.

2) Darshanāvaranīya karma (le karma qui obscurcit la perception).

Ce karma diminue les pouvoirs de notre perception au moyen des yeux, des oreilles, du nez, de la langue et de la peau, de sorte que nous ne sommes pas capables de voir, d'entendre, de bien sentir, etc.

Il y a neuf sous-catégories de ce karma :

  1. le cakshur darshanāvaranīya karma, qui obscurcit la perception visuelle,
  2. l'acakshur darshanāvaranīya karma, qui obscurcit la perception non-visuelle,
  3. l'avadhi dashanāvaranīya karma, qui obscurcit la perception de loin,
  4. le kevala darshanāvaranīya karma, qui obscurcit la perception parfaite,
  5. le nidrā karma, qui provoque un léger sommeil,
  6. le nidrā-nidrā karma, qui produit un sommeil profond,
  7. le pracalā karma, qui provoque un sommeil très profond,
  8. le pracalā-pracalā karma, qui produit un sommeil excessivement intense et
  9. le styānagriddhi nidrā karma, qui provoque le somnambulisme.

Certains effets de ce karma sont la cécité, l'inadéquation des sens, l'insomnie, l'évanouissement et le somnambulisme.

Ce karma est accumulé si l'on condamne les principes religieux, si l'on manque de respect envers les vertueux, et si l'on essaye de trouver des fautes dans la perception des autres.

En pratiquant fidèlement la vénération, en ayant foi dans les Jinas, en étant respectueux envers les maîtres spirituels et la religion, on efface ce karma. Pour éviter d'attirer ce karma, on ne doit pas insulter les sādhus, les sādhvīs, les shrāvakas ou les shrāvīkas. On doit aussi être d'humbles disciples de la religion jaïne, aider les autres à la suivre, être alerte et travailler pour la paix de l'ordre quadruple jaïn.

Une fois que ce karma est totalement effacé, on peut atteindre la kevaladarshāna et devenir Anantadarshāni. Les Arihantas et les Siddhas perçoivent, en même temps, tout ce qui arrive maintenant, tout ce qui est arrivé dans le passé et tout ce qui arrivera dans le futur.

3) Antarāya karma (le karma qui empêche).

Bien que beaucoup parmi nous désirent faire la charité, nous ne le pouvons pas. Une personne riche qui est diabétique peut se payer n'importe quel dîner de son choix mais elle ne peut pas nécessairement y prendre du plaisir. Vous pouvez avoir eu l'expérience où tout était réuni à 100% pour réaliser un projet mais où, pour une raison quelconque, vous n'avez pas pu l'entreprendre. Des situations de cette nature se produisent à cause de l'influence de l'antarāya karma. Ce karma empêche aussi la vénération du Jina et l'exécution des activités spirituelles. Il est responsable de tous les obstacles auxquels nous avons à faire face dans nos vies.

Il y a cinq subdivisions dans l'antarāñya karama :

  1. le dānāntaraya karma (celui qui empêche la charité),
  2. le labhāntaraya karma (celui qui empêche le gain),
  3. le bhogāntaraya karma (celui qui empêche le plaisir),
  4. l'upabhogāntaraya karma (celui qui empêche la réjouissance),
  5. le viryāntaraya karma (celui qui empêche le pouvoir de la volonté).

Certains effets de ce karma entraînent l'incapacité de faire pénitence, la paresse et la faiblesse. Même si l'on désire suivre la bonne voie, on en est incapable, du fait d'une quantité excessive de ce karma.

Ce karma est acquis en ne vénérant pas les Jinas, en ne pratiquant pas les autres activités spirituelles, en s'opposant à ce que d'autres fassent pénitence, rendent service, pratiquent la dévotion ou la charité, en n'étant pas charitable et en causant du tort aux autres.

Ce karma peut être effacé en faisant la charité, en partageant sa connaissance, en aidant les sādhus et les sādhvīs, en encourageant les autres à être charitables, à faire pénitence, à rendre service, et en se montrant bienveillant.

Lorsque l'on se débarrasse de ce karma complètement, on devient Anantashakti. L'âme n'a plus ni handicap, ni de faiblesse. Elle n'est plus fatiguée et n'échoue jamais.

4) Mohanīya karma (le karma qui trompe).

Ce karma crée des doutes envers la religion et les maîtres spirituels et fait perdre la foi dans le Jina. Il fausse la conduite juste et la foi juste, il provoque l'attachement et la haine et il entraîne des passions comme la colère, l'ego, la malhonnêteté et la cupidité. De tous les karmas, c'est le plus dangereux et le plus difficile à vaincre. Une fois qu'il a été vaincu, le salut (la libération) est garanti(e). Il y a vingt-huit sortes de mohanīya karma :

a) le darshana mohanīya karma (celui qui perturbe la foi). Il comprend : le mithyātva mohanīya karma qui cause l'incrédulité, le mishra mohanīya karma qui cause la crédulité multiple et le samyaktva mohanīya karma qui fausse la foi juste.

b) le caritra mohanīya karma (celui qui perturbe la conduite). Il comprend les karmas dus aux passions (kashāyas) et ceux non dus aux passions (non-kashāyas).

Ceux dus aux passions sont dits :

Ceux non dus aux passions sont :

Certains effets du mohanīya karma comprennent l'attachement, la haine, l'envie, le mépris, la détresse, l'infatuation, le désir ardent, le délire, la colère, la cupidité, l'ego et la déception.

Ce karma s'acquiert en traitant avec dédain les dieux et les précepteurs, en ayant un profond attachement, une profonde haine, en se lamentant, en pleurant, en étant surexcité, irritable, furieux, avide, égoïste, trompeur, etc.

En observant des vertus comme l'honnêteté, l'humilité, le contentement et la franchise, on peut effacer ce karma. Pour l'éviter, on doit prier, aller à l'upāshraya pour vénérer les maîtres spirituels et faire, chaque jour, pénitence. Lorsque l'on a complètement vaincu ce karma, on devient un Vītarāga (comparable à un Arhat). Après, l'âme n'est plus jamais coléreuse, orgueilleuse, avide, intéressée, désintéressée, heureuse, triste ou peureuse. Une âme Vītarāga n'a ni attachement, ni haine envers quiconque. Une fois que le mohanīya karma est détruit, le jñānavaraniya, le darshanavaraniya et l'antaraya karmas le sont aussi, dans un délai de 48 minutes, et la kevalajñāna, la kevaladarshana et l'anantavirya sont toutes atteintes.

Chapitre 5
Aghāti Karma

Dans notre vie, nous voyons énormément de personnes différentes, certaines sont plus belles que les autres, certaines vivent plus longtemps que d'autres, etc. Quelle est la cause de cette dissemblance ? La réponse à cette question c'est que ce sont les effets des karmas. Ceux-ci sont groupés en deux catégories. Les uns sont dits ghāti (destructeurs), les autres aghāti (non-destructeurs). Les ghāti karmas gênent la vraie nature de l'âme, alors que les aghāthi affectent seulement le corps dans lequel l'âme réside. Tant que nous avons des aghāti karmas nos âmes sont prisonnières d'une forme de corps, éprouvent de la douleur et souffrent de différentes façons. Seules, les âmes pures des Siddhas n'ont pas de forme, et éprouvent un bonheur absolu. Nous devons tous nous efforcer d'arriver à ce stade.

Les aghāti karmas sont : a) le vedanīya karma, b) le nāma karma, c) la gotra karma, d) l'āyushya karma.

a) Le vedanīya karma est responsable de toutes les peines et de tous les plaisirs que nous éprouvons. Certains de ses effets sont la bonne santé, le bonheur, la maladie, la tristesse, etc.

Ce karma se subdivise en deux catégories : l'āsāta karma, qui cause le malheur et le sātā karma, qui cause le bonheur. L'āsāta vedanīya karma s'acquiert en faisant souffrir les autres, en les stressant, en les tuant, en les faisant s'inquiéter et en les rendant malheureux. Le sātā vedanīya karma s'accumule en rendant les autres heureux, en les aidant, en les protégeant, en les calmant, en partageant avec eux, et en les réconfortant.

Le vedanīya karma peut être effacé, en offrant du réconfort, de la bonté, de l'aide, de la protection et de la tranquillité aux autres.

Lorsque nous sommes complètement débarrassés de ce karma, notre âme parvient au bonheur absolu. L'âme pure n'a plus de maladie, de souffrance, de tristesse, d'ennui ou d'inquiétude, elle est toujours heureuse.

b) Le nāma karma détermine le type de corps que l'âme occupera et à quoi il ressemblera.

Ce karma se subdivise en cent trois sous-catégories. Les groupes principaux sont : le gati nāma karma, qui détermine l'existence, le jātināma karma la destinée, le sharīra karma le corps, l'angopanga nāma karma la tête et les membres, le samhanāma karma la fermeté des jointures, le samsthāna nāma karma l'apparence, le bandhana nāma karma l'énergie, le samghātana nāma karma les différents éléments du corps, le varna nāma karma la couleur, le gandha nāma karma l'odeur, le rasa nāma karma le goût, le sparsha nāma karma, le toucher, l'anupūrvi nāma karma la direction, le vihayogati nāma karma le mouvement, le Tirthankara nāma karma le fait d'être un Tirthankara, le subha nāma karma le résultat agréable, l'āshubha nāma karma le résultat désagréable, etc.

Certains effets du nāma karma sont la beauté, la laideur, la bonne fortune, la malchance, la prospérité, l'adversité, l'honneur et le déshonneur. On peut naître, en fonction de son nāma karma, comme être céleste, comme être humain, comme oiseau, animal ou plante, ou comme être infernal.

Cent trois sous-catégories de nāma karma sont aussi groupées en deux grands groupes : shubha nāma karma (le bon) et āshubha nāma karma (le mauvais).

Le shubha nāma karma s'acquiert en étant bon, gentil et secourable envers tous les autres gens, en se conduisant toujours bien, et en menant une vie simple. Ceux qui suivent strictement la discipline et les règles religieuses gagnent du deva-gati nāma karma (qui fait renaître comme être céleste). Ceux qui sont charitables, miséricordieux et qui pratiquent des activités religieuses obtiennent du manushya nāma karma (qui fait renaître comme être humain). Ceux qui acquièrent du Tirthankara nāma karma deviennent des Tirthankaras dans leur vie après la suivante.

L'āshuba nāma karma s'acquiert en se moquant des gens qui sont laids ou nains ou en mettant en valeur sa stature. Être orgueilleux de sa beauté physique, de son pouvoir, de sa caste, de son intelligence, de son savoir et de sa richesse produisent, aussi, ce type de karma. Ceux qui trichent et qui trompent les autres acquièrent du tiryañca nāma karma (qui fait renaître comme animal ou comme plante). Ceux qui sont violents et qui tuent les autres obtiennent du nāma karma pour l'enfer.

Le nāma karma peut être effacé en étant toujours bon, aimant, généreux, patient, et en admirant ceux qui sont beaux et ceux qui ne le sont pas. L'observation de la pureté aide, aussi, à effacer ce karma.

Quand nous nous sommes complètement débarrassés du nāma karma, notre âme devient Arūpi. Dans cet état, elle est libérée du corps et devient sans forme.

c) Le gotra karma détermine notre statut social et économique.

Il y a deux sous-catégories de gotra karma : le nichcha gotra karma (le statut bas) et l'uchcha gotra karma (le statut élevé). Le premier fait que nous avons un statut bas et pauvre dans la société, le second que nous sommes bien respectés et riches. Le karma du statut bas est acquis en ne respectant pas les gens, en étant égoïstes et orgueilleux et en se moquant des autres. Le karma du statut élevé est obtenu en ayant de la dévotion et de la foi dans la religion jaïne, en ne regardant personne de haut, en n'étant pas orgueilleux, en respectant, en honorant, et en traitant tout le monde avec amour.

Le gotra karma peut être effacé en étant respectueux envers ceux qui ont un statut et envers ceux qui n'en ont pas.

Quand le gotra karma est complètement effacé, notre âme devient Agurulaghutva (constante).

d) L'āyushya karma détermine notre durée de vie. Celle-ci peut être raccourcie mais non allongée. Celle pour la vie future est décidée seulement lorsque les deux tiers de la vie courante se sont écoulés. Si ce n'est pas fait alors, c'est réalisé dans les deux tiers du temps qui reste. Si ce n'est pas encore fait, cela continue de même ou c'est au moment de la mort. Ce karma n'est pas acquis, lorsque l'âme va être libérée dans la vie en cours.

Il y a quatre sous-catégories d' āyushya karma :

En fonction des effets de ce karma, certains peuvent vivre peu et d'autres longtemps.

Ce karma est acquis en s'engageant dans des activités violentes et en ôtant la vie aux autres. Il peut être effacé, en montrant de la compassion envers tout le monde.

Lorsque l'āyushya karma est complètement effacé, l'âme devient Akshayasthiti, l'état où elle est immortelle et ne renaît plus jamais.

Chapitre 6
Āsrava

Āsrava signifie invasion et, suivant la philosophie jaïne, ce mot qualifie l'afflux des karmas dans l'âme. Cette invasion se produit à chaque seconde dans la vie. C'est le processus qui fait errer nos âmes dans cet univers et qui les empêche d'être libres. Disons que vous allez faire du bateau et que vous passez du bon temps. Soudain, vous voyez de l'eau jaillir de la coque. Qu'est ce qui va traverser votre esprit ? Qu'allez-vous faire ? La première chose à laquelle vous allez penser c'est qu'il y a un trou et qu'il faut le boucher, avant que le bateau sombre. Vous pouvez avoir la chance qu'il n'y ait qu'un seul trou, car il pourrait y en avoir plus. De même, nous savons que les karmas s'accumulent dans notre âme, du fait de l'une ou de plusieurs de nos actions, et qu'à défaut de les arrêter, ils vont la gâter.

On peut considérer deux sortes d'āsravas : physique ou objectif et psychique ou subjectif.

L'āsrava physique concerne les activités matérielles qui provoquent l'invasion des karmas, l'āsrava psychique l'absorption mentale de ceux-ci.

Il y a quarante-deux moyens, pour l'âme, d'être exposée à l'invasion des karmas. Ce sont : les cinq sens, les quatre passions, les cinq avratas, les trois yogas et vingt cinq activités diverses. Les dix sept premiers sont considérés comme majeurs, les vingt-cinq autres comme mineurs.

Les āsravas peuvent aussi être appelés de dix-huit façons différentes telles que : la violence, la fausseté, le vol, l'activité sexuelle, la possessivité, la colère, l'ego, la fourberie, la gourmandise, l'attachement, la haine, l'humeur querelleuse, les fausses accusations, la divulgation de secrets, la médisance, le plaisir en commettant des péchés, le fait d'être ennuyé par les activités religieuses, de mentir avec malice, de faire confiance à une fausse philosophie, à de faux maîtres religieux, et à des religions fausses.

Dans le Jaïnisme, les karmas pénètrent dans l'âme pour les cinq raisons majeures suivantes :

1) La croyance fausse (mithyātva), 2) le manque de contrôle de soi (avirati), 3) les passions (kashāyas), 4) la négligence (pramāda), 5) l'activité psycho-physiologique (yoga).

1) La croyance fausse (mithyātva).

Mithyātva signifie la mauvaise attitude, le mauvais goût, les mauvaises actions, le manque de foi dans les neuf principes fondamentaux (tattvas) expliqué par les Jinas. Cela veut aussi dire ne pas avoir d'intérêt et de foi dans la voie de la libération montrée par les Jinas, mais dans une autre, exposé par des personnes ignorantes et non éclairées. En d'autres termes, au lieu d'avoir foi dans les Arhats, dans les grands maîtres spirituels, et dans le grand dharma, ceux qui ont une mauvaise croyance sont, en bref, des gens qui n'ont pas une véritable connaissance approfondie des principes fondamentaux.

Le faux précepteur est celui qui n'agit pas suivant les grands vœux de non-violence (ahimsā), de sincérité (satya), d'honnêteté (asteya), de chasteté (brahmacarya) et de non-possessivité (aparigraha), qui possède des biens, a une femme, approuve ces actions et ne respecte pas le code de conduite des moines. Une telle personne est un faux chef spirituel.

La fausse religion c'est celle qui est dépourvue de foi juste (samyakdarshana), de connaissance juste (samyakj'āna) et de conduite juste (samyakcāritra). Elle n'explique pas la nature du jīva et de l'ajīva, estime normal de jouir des plaisirs des sens, d'avoir des passions et de commettre des péchés. Avoir foi dans un faux maître et un faux dharma, et montrer de la partialité et de l'intérêt pour eux, constitue la croyance fausse (mithyātva).

On distingue cinq sortes de mithyātva :

a) l'ignorance totale (anābhogikī mithyātva). Dans cet état, on ne peut pas distinguer le bien du mal, les vraies croyances des fausses doctrines. C'est aussi le cas de tous les jīvas qui n'ont pas de pensée, c'est-à-dire des ekendriyas asamji pasendriyas,

b) la fausse croyance fanatique (abhigrahikī mithyātva) Dans cet état, on croit que sa religion (dharma) est la seule juste, même si son propagateur peut avoir des défauts comme de l'attachement, de la haine, de la violence, etc.

c) l'acceptation d'autres croyances sans comparer leurs qualités (anābhigrahikī mithyātva). Dans cet état, les gens sont simples, non fanatiques. Ils croient que toutes les religions sont égales, même si elles ne respectent pas des principes comme la non-violence et la sincérité. Ils pratiquent la chasteté et la non-possessivité partielles ou ils acceptent de garder ce qui n'est pas offert, etc. Comment pouvons-nous les considérer comme des égaux, s'ils ne suivent pas ces principes dans toute leur étendue ?

d) la persistance dans la croyance fausse (abhiniveshikī mithyātva). C'est l'état dans lequel on sait que sa religion n'est pas juste, mais où l'on continue de vivre en accord avec elle,

e) le scepticisme (samshayikī mithyātva). C'est l'état dans lequel on a des doutes ou l'on est sceptique sur la religion exposée par le Jina.

La croyance fausse est la pire ennemie de l'âme, parce qu'on n'a pas foi dans les principes fondamentaux (tattvas), la voie du moksha, les Tirthankaras, les Arhats, les chefs religieux et la religion jaïne. On peut marquer un fort intérêt dans des actions qui sont des sources de péchés, comme la violence et les plaisirs des sens. Pour cette raison, on s'éloigne d'une noble religion. Toute la dévotion et toutes les austérités des vies antérieures sont gaspillées par l'attrait pour les péchés et les jouissances sensuelles. Il faut abandonner mithyātva qui est la cause essentielle de notre éloignement de la vraie religion.

2) Le manque de contrôle de soi (avirati).

L'avirati signifie la situation de l'abstention des vœux où l'on n'a pas à se surveiller ou à s'interdire les mauvaises choses. A moins de faire les vœux, de nous contrôler ou de cesser notre participation à des actes non recommandables, tout ce que nous faisons apporte des mauvais karmas à notre âme. En faisant les vœux, nous nous engageons à ne pas faire de tels actes. Ainsi, nous n'accumulons pas les mauvais karmas qui leur sont attachés.

3) Les passions (kashāyas).

Kasha signifie samsāra et aya gain. Par conséquent, kashāya veut dire : ce qui aide l'âme à gagner le samsāra ou à y rester. En d'autres termes, les kashāyas sont toutes les choses qui maintiennent les jīvas dans le cycle des naissances et des morts. On les appelle des passions. Cela concerne tout spécialement la colère, l'ego, la tromperie et l'avidité Ces passions ont beaucoup d'autres formes, telles que l'attachement, la haine, l'hostilité, l'inimité, l'arrogance, la roublardise, la tricherie, la luxure, la gourmandise, la propension possessive, etc. provoquée par l'amusement, la tristesse, le plaisir, l'excitation, la peur, le dégoût, l'horreur, le désir sexuel, etc. qui ne sont pas des passions, mais plutôt des non-passions.

La colère, l'ego, l'avidité et la tromperie (les quatre passions) se subdivisent, suivant leur importance, en quatre sous-catégories : la passion sévère, la passion modérée, la passion moyenne et la passion légère.

a) La passion sévère (anantānubandhī kashāya) oblige l'âme à avoir des vies sans fin dans le monde (samsāra). Elle l'asservit et la force à rester dans le cycle de la vie et de la mort pour toujours. Les passions sévères sont celles des personnes qui vivent dans une fausse croyance. Sous leur influence, le jīva commet des péchés très violents, a un attachement très fort et une haine très vive envers les autres. Du fait de l'influence de ce kashāya, le jīva commet des péchés sans distinguer ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il agit mal sans crainte. Ce kashāya sape le samyaktva qui, dans ce contexte, signifie la foi dans les principes religieux fondamentaux (tattvas). Par conséquent, il faut comprendre qu'un péché est un péché et qu'il doit être considéré comme ignoble. A cet égard, lorsque l'on détruit l'anantānubandhi kashāya, on réalise la foi dans les tattvas et le samyaktva. Si l'anantānubandhi kashāya survient, elle fait perdre la foi et descendre le jīva du niveau du samyakyva à celui de la croyance fausse (mithyātva).

b) La passion modérée (apratyākhyānī kashāya). Des péchés comme la violence ne doivent pas être commis. Bien que les jīvas connaissent et comprennent cette vérité ils n'ont pas la force d'abandonner leurs activités coupables. En d'autres termes, l'idée ne leur vient pas que des vœux doivent être faits ou qu'un contrôle doit être effectué pour éviter les péchés. Même si l'on désire faire des vœux, cette passion en paralyse la réalisation. Lorsqu'elle apparaît, elle entraine même ceux qui observent des contrôles partiels au niveau de l'absence de contrôles (de l'absence de vœux). Sous l'influence de cette passion, le jīva, en dépit de savoir cela, reste si inactif et si apathique qu'il ne peut même pas dire « Je ferai ce vœu pour m'abstenir de ce péché et de son importance »

c) La passion moyenne (pratyākhyānī kashāya) ne s'oppose pas aux contrôles partiels de soi ou aux réalisations de vœux pour éviter les péchés (pacakhānas) mais à l'idée de vœux complets. Par son effet, même si l'âme comprend que la violence est un péché et si elle veut s'en abstenir totalement, elle n'est capable que de se contrôler partiellement. La violence envers les jīvas immobiles (sthāvara jīvas) peut continuer, mais lorsque cette passion est supprimée, détruite, ou les deux, on arrive à s'abstenir totalement d'agir avec violence envers tout ce qui vit. Par conséquent, suivant l'effet de cette passion, une personne peut suivre des vœux partiels ou complets.

d) La passion légère (samjawalanī kashāya). Lorsque c'est la seule passion qui reste, l'âme a fait baisser son poids jusqu'à un niveau léger. A ce stade, on peut soit la supprimer soit la détruire complètement. Lorsqu'elle est supprimée, elle ne réapparait pas si l'âme est dénuée d'attachement ou de haine, mais cet état ne dure jamais longtemps. Dans la demie muhurthā suivante (vingt-quatre minutes), le jīva sera la proie à de nouvelles passions et pourra régresser totalement, sous l'influence de la passion sévère. Si cette passion est complètement détruite, l'âme atteint alors l'étape du non-attachement véritable d'où elle ne redescend pas. C'est pourquoi, quand toutes les passions légères sont détruites, l'âme devient omnisciente (kevalī). On peut voir ainsi que même une passion légère peut faire obstacle au statut d'équanimité de l'âme.

4) La négligence (pramāda).

Pramāda signifie que l'âme agit sans se soucier de son état. La négligence est causée par cinq choses : l'arrogance, les désirs sensuels, les passions, le sommeil et le commérage.

On peut aussi dire que la négligence est due à huit autres causes : l'attachement, la haine, l'ignorance, le doute, l'illusion, la distraction, les activités nuisibles de la pensée, du corps et de la parole, le manque d'attention et d'enthousiasme pour les activités religieuses.

Si une personne fait preuve d'une négligence légère, lorsqu'elle a abandonné toutes ses activités coupables et a été initié comme moine ou comme nonne, ce moine, cette nonne, est appelé(e) pramatta (sous l'influence du pramāda). Lorsqu'un moine ou une nonne abandonne la grosse négligence, il (elle) est un (une) apramatta. même après être devenu apramatta, des passions peuvent apparaître, mais elles sont très légères, car elles peuvent alors être détruites ou contrôlées. A ce moment là le jīva est très fortement éveillé. Par conséquent, un très petit degré de passion n'est pas appelé pramāda. Lorsque le jīva dépasse cet état de conscience spirituelle, celui de libéré des passions (vitarāga) apparaît.

Les sens. Les sens sont la cause de passions qui mènent à la ruine. Ils sont si insaisissables que, si nous ne sommes pas vigilants, ils s'impliquent dans ce qui se passe autour de nous et ils provoquent nos passions qui peuvent, à leur tour, détourner nos âmes de la voie spirituelle. Voyons comment les cinq sens peuvent ainsi géner notre progrès spirituel.

L'ouïe. Une personne peut être amenée à écouter des chansons, de la musique, des discours sensuels, et passer à cela tant de temps qu'elle risque de ne plus être capable de se concentrer pour faire ce qui est nécessaire. Il faut écouter les sermons et les chants religieux qui aident à enrichir notre conation, notre cognition, notre conduite, et qui finalement nous permettent d'atteindre la libération.

La vue. Les gens passent beaucoup trop de temps devant la télévision, qui incite à la violence, qui montre des séquences sensuelles et immorales, augmente notre désir charnel et nous rend agressifs. A la place, il faut regarder les émissions morales et écouter, si c'est possible, les sermons des moines et des nonnes, qui augmentent notre conation, notre cognition, notre conduite et nous permettent de parvenir à la libération.

L'odorat. Nous ne devons pas rechercher les plaisirs que procurent les parfums, de même les odeurs qui augmentent notre désir charnel et celui des autres. Une telle occupation provoque la ruine de toutes les parties concernées. Nous devons nous souvenir qu'il y beaucoup de violence dans la réalisation de ces produits. Certaines personnes cueillent des fleurs pour les sentir en oubliant qu'elles causent ainsi une mort ou pour le moins une violence. Pour ces raisons, on doit réduire le plus possible les désirs olfactifs et se tenir éloigné d'eux.

Le goût. Beaucoup de personnes mangent de la viande parce qu'elles considèrent que c'est un aliment savoureux. Souvent, elles ne pensent pas à la violence qu'implique sa production. Il en est de même lorsque l'on boit des liqueurs. Même si certains peuvent dire qu'ils ne boivent pas trop, nous savons les conséquences de la conduite en état d'ivresse. Non seulement ces personnes se font du mal, mais elles causent la perte de nombreuses vies innocentes. Beaucoup d'incidents non désirés se produisent dans la société sous l'influence de ce sens. Pour les éviter, contrôlons notre goût et restons à l'écart de ces choses. Apprenons à consommer une nourriture d'un goût très simple, de façon à pratiquer plus facilement une austérité comme le jeûne (ayambil).

Le toucher. Qu'est-ce que s'embrasser, s'étreindre ou même se serrer les mains apporte à notre esprit ? Des plaisirs sensuels et un accroissement de notre désir charnel. Par conséquent, nous devons éviter ces pratiques et accueillir quelqu'un, les mains jointes, en disant Jai Jinendra !

5) L'activité psychophysiologique (yoga).

Dans le Jaïnisme, le mot yoga signifie l'activité psychophysiologique. En d'autres termes, les pensées, les paroles et les actes du jīva sont appelées yogas.

Il y a quinze sortes d'activité. Si elles sont méritoires, l'âme récolte des karmas favorables, si elles sont blâmables, elle accumule des karmas défavorables.

a) L'activité de la pensée (manoyoga) est de quatre sortes :

- l'activité correcte (satyamanoyoga) qui consiste à penser à un objet ou à une situation tel (telle) qu'il (elle) est. Par exemple La connaissance juste, la foi juste et la conduite juste mènent à la libération.

- l'activité incorrecte (asatyamanoyoga) qui consiste à penser à une chose ou à une situation de façon contraire à ce qu'elle est réellement. Par exemple : La conduite juste n'est pas nécessaire pour la libération.

- l'activité mixte (satyashatyamanoyoga) qui consiste à penser qu'une chose peut être vraie mais pas totalement, ou fausse mais pas entièrement. Par exemple La connaissance est suffisante pour atteindre la libération.

- l'activité neutre (vyavahārmanoyoga) qui consiste à penser à une chose d'ordre général. Dans ce cas, la vérité ou l'erreur importe peu. Par exemple, Il faut que je dise à Ramesh qu'il est neuf heures parce que, s'il n'est pas prêt, il sera en retard » ou il faut que je dise à Bhavesh qu'il est temps de déjeuner, même s'il y a encore une demi-heure pour y aller

b) L'activité de la parole (vācana yoga) est aussi de quatre sortes :

- l'activité correcte de la parole (satyavācana yoga) qui consiste à dire la vérité sur un objet,

- l'activité incorrecte de la parole (asatyavācana yoga) qui consiste à mentir à propos d'un objet,

- l'activité mixte de la parole (satyashatyavācana yoga) qui consiste à dire quelque chose qui peut être pour partie vrai et pour partie faux,

- l'activité neutre de la parole (vyavahārvācana yoga) qui se rapporte à des mots sans importance, comme Vous pouvez aller. Vous pouvez entrer, etc.

c) L'activité du corps (kāya yoga) est fonction des cinq catégories de corps : grossier, sans forme, du transfert, ardent et karmique.

- Le corps grossier (audārika kāya) est celui des êtres humains, des animaux et des oiseaux,

- Le corps sans forme (vaikreya kāya) est celui des êtres célestes et des habitants de l'enfer,

- Le corps du transfert (āhāraka sharīra) est celui que créent les moines de niveau spirituel élevé, ceux qui maîtrisent les shāstras (les quatorze Pūrvas), lorsqu'ils vont au samvasaran, (là où le Seigneur Arhat donne un sermon) quand ils ont besoin que leurs doutes soient éclaircis. Leur corps réel reste avec eux partout où ils sont.

- Le corps ardent (tejas kāya) est celui qui donne l'énergie à tout le corps,

- Le corps karmique (kārman kāya) est celui qui porte les empreintes des karmas de la naissance suivante,

Lorsque l'âme quitte son corps courant, au moment de la mort, les corps ardent et kārmique vont avec elle dans la vie qui suit.

Les activités du corps et des organes de tous les jīvas (kāya yogas) sont au nombre de sept. Elles comprennent :

-deux activités du corps grossier (audārika kāya yogas) : mixte (mishra) et pure,

-deux activités du corps sans forme (vaikreyā kāya yogas) : mixte (mishra) et pure,

-deux activités du corps du transfert (āhāraka kāya yogas) : mixte (mishra) et pure et

-une activité du corps karmique (kārman kāya yoga).

L'activité du corps grossier mixte (mishra audārika kāya yoga) est celle qui se produit lorsqu'un jīva renaît dans une vie suivante. Comme un nouveau corps n'est pas prêt tout de suite, un corps est formé à l'aide du kārman sharīra, comprenant un certain nombre de karmas, et des matières grossières (audārika pudgalas).

L'activité du corps grossier pure (audārika kāya yoga) est celle qui a lieu lorsque celui-ci a été complètement formé

Il en est de même pour : les activités du vaikreyā kāya , et celles de l'āhāraka kāya.

L'activité du corps karmique (kārman kāya yoga) a lieu lorsqu'un jīva voyage pour une nouvelle vie. Il s'élève d'abord directement, puis il tourne habituellement deux fois. Quand il tourne pour la première fois, il n'a aucune connexion avec un corps, parce qu'il vient juste d'abandonner celui qu'il avait et il n'en a pas encore atteint un nouveau. A ce moment là son activité est due au corps karmique.

Il y a ainsi 15 yogas. Ces activités peuvent être favorables ou non. Celles qui sont conformes aux principes religieux sont favorables, celles qui ne le sont pas sont défavorables. Nous acquérons du mérite (punya) du fait de nos activités (yogas) favorables et du démérite ou du péché (pāpa) du fait de nos activités (yogas) défavorables.

Activité diverses.

Les vingt-cinq activités diverses suivantes provoquent l'afflux de karmas. Nous devons veiller à les éviter. Ce sont toutes celles :

physiques, réalisées sans attention, qui font du mal (kāyikī),

qui consistent à confectionner ou à permettre l'utilisation d'instruments violents ou d'armes (adhikaraniki),

qui blessent quelqu'un par la colère (pradvesikī),

qui, par chagrin ou par douleur, causent du chagrin ou de la douleur à d'autres (paritāpanikī)

qui consistent à tuer quelqu'un ou à blesser une partie de son corps (prānātipātikī),

qui peuvent faire du mal (ārambhikī). Par exemple : construire une maison ou labourer un champ,

qui provoquent l'amas de grains, de bétail, de richesse et d'autres choses matérielles (pārigrahikī),

qui sont trompeuses et font du mal (māyāpratyayikī),

qui sont contraires à la voie montrée par le Jina et suivant une croyance fausse (mithyādarshanapratyayikī),

qui sont effectués sans tenir compte des vœux (apratyākhānikī),

qui consistent à regarder quelqu'un avec un désir charnel, de la haine ou de l'attachement (dristikī),

qui consistent à toucher, embrasser ou étreindre quelqu'un avec un désir charnel (spristikī),

où l'on réagit à des questions qui n'ont pas de rapport (pratityaki),

qui consistent à se réjouir des louanges de posséder de la fortune (sāmantopanipātikī),

qui font du mal ou qui tuent au travail, par contrainte ou par ordre d'un supérieur (naishastrikī),

lorsque l'on est patron, par lesquelles on ordonne à un employé de faire un acte qui peut être cause de blessure (svahastikī),

qui sont contraires à l'enseignement du Jina, alors que l'on pense que c'est quelqu'un de sage (āj'ānpanikī),

où l'on dit injustement du mal de quelqu'un pour le diffamer (vaidāranikī),

où l'on ne fait pas très attention pour satisfaire ses besoins naturels (anābhogikī),

où l'on montre un manque de respect et d'égard concernant l'efficacité des rôles de vie et de conduite prescrites par le Jina (anavakānksāpratyayikī),

où l'on ne contrôle pas sa pensée, ses paroles et ses mouvements du corps, tels que cela a été enseigné par les écritures sacrées jaïnes (prayogikī) ,

dont les conséquences sont si étendues que les huit karmas sont attirés (sāmudāyikī). Par exemple : aller voir des actes de violence comme une pendaison et avoir des pensées qui font s'étonner que l'on mette tant de temps à pendre quelqu'un,

où l'on fait quelque chose sous l'influence de la tromperie et de la cupidité (premikī),

où l'on fait quelque chose sous l'influence de l'orgueil et de la colère (dvesikī),

qui sont effectués avec de la passion (īryāpathikī).

Chapitre 7
Samvara

Littéralement, le mot samvara signifie blocage. Dans la théorie du karma, il veut dire le blocage, l'arrêt de l'invasion des karmas dans l'âme. C'est le contraire du mot āsrāva qui définit l'afflux des karmas. Dans la leçon sur l'āsrāva, nous avons pris l'exemple du bateau qui explique comment il agit. Vous étiez allé faire du canot et vous passiez du bon temps quand vous avez remarqué que de l'eau sortait de la coque. Immédiatement, vous avez vu qu'il y avait un trou et que, si l'eau n'était pas arrêtée, le bateau allait sombrer. Vous avez trouvé le trou et vous l'avez bouché afin d'arrêter la venue d'autre eau. Cet arrêt de l'eau est appelé samvara. Notre âme qui vagabonde dans les affaires du monde est dans une situation comparable. Nous avons beaucoup de trous (d'activité) par lesquelles les karmas affluent en permanence. Nous en avons parlé à propos de l'āsrāva, ce sont : la croyance fausse, l'absence de vœux, les passions, la néligence et les activités psychophysiologiques. Toutes permettent aux karmas de s'agglutiner à notre âme. Une fois que nous avons compris les effets de ces activités, nous devons nous efforcer de les contrôler afin de bloquer les nouveaux karmas pour qu'ils n'entrent pas dans notre âme et qu'ils ne la fassent pas sombrer.

Il y a deux types de samvara : physique ou objectif, psychique ou subjectif. Le samvara physique c'est l'arrêt de certaines activités pour stopper l'invasion de particules de karma. Le samvara psychique c'est l'effort de notre conscience pour arrêter nos passions, afin d'éviter l'afflux direct de karmas par nos activités mentales, physiques et verbales.

Les six sortes de samvara sont : 1) les attentions (samitis), 2) les contrôles (guptis), 3), les épreuves (parīsahas), 4) les dix devoirs des sādhus (dasha yatidharma), 5) les méditations (bhāvanās) et 6) la conduite (cāritra).

Ces six sortes de blocages des karmas ne sont réellement efficaces que s'ils sont effectués avec une foi inébranlable dans les commandements du Jina. C'est pourquoi, la foi dans les principes religieux (samyaktva) est en étroite et profonde relation avec le samvara. Par le samyaktva, l'āsrava que l'on appelle fausse croyance ou mithyātva est complêtement bloquée et arrêtée Par la conduite juste (samyaka-cāritra) et les dix devoirs des sādhus (yati dharma), l'āsrava que l'on appelle absence de vœux est bloqué par les contrôles (guptis), les méditations (bhāvanās) et les dix devoirs des sādhus (yati dharma), l'āsrava que l'on appelle passions est bloqué. Par les attentions (samitis), les contrôles (guptis) et les épreuves (parīsahas), l'āsrava, que l'on appelle activités physiques, verbales et mentales (yoga) et néligence (pramāda) est bloquée par la conduite juste (samyaka cāritra), l'āsrava que l'on appelle absence de vœux, passions, activités psychophysiologiques est bloquée

1) Les attentions (samitis).

Les mots samiti signifient réellement : usage correct. Comme exemples on peut citer : le fait d'avoir l'objectif juste, la discipline qui convient, la vigilance et l'attention de l'esprit.

On distingue cinq attentions (samitis) : īryā samiti, bhāshā samiti, eshanā samiti, ādāna bhanda matta nikshepa samiti et parithāpanikā samiti.

a) Īryā samiti, c'est l'attention dans les mouvements. Elle consiste à agir prudemment, et avec soin, et à regarder attentivement le sol, afin qu'aucun jīva ne soit blessé ou tué. Les sādhus observent cette attention de la façon la plus rigoureuse. C'est pourquoi ils ne marchent pas inutilement et uniquement sur la voie qui minimise au maximum la violence. Plutôt que de marcher dans l'herbe ou sur des insectes, ils empruntent une autre route, même si elle est plus longue. Ils ne portent pas de chaussures afin de faire le moins de mal possible aux organismes qui sont sur le sol. Les laïcs doivent aussi garder cela dans leur esprit et faire attention, lorsqu'ils marchent.

b) Bhāshā samiti, c'est l'attention en parlant. On doit limiter ou complètement éviter de dire quoi que ce soit qui puisse provoquer la violence, la flatterie, la condamnation, le commérage, etc. ou employer des mots qui peuvent faire du mal aux autres. On ne doit pas faire de la peine en utilisant des mots grossiers ou injurieux et se limiter ou se dissuader d'émettre des idées déplaisantes et irréfléchies qui sont contraires aux principes enseignés par le Jina ou faire des exposés qui peuvent provoquer une croyance fausse. Les termes et les exposés doivent être toujours aimables et doux. Si quelqu'un s'est confessé à un sādhu d'avoir eu des activités mauvaises ou d'avoir péché il ne doit pas en parler à d'autres. Ce samiti nous rappelle aussi que l'on ne doit effrayer personne par ses paroles ou ses discours, se moquer des autres ou prêcher une fausse doctrine.

c) Eshanā samiti, c'est l'attention en s'alimentant. L'attention doit aussi être appliquée à tout ce qui concerne la nourriture. Les sādhus doivent aller dans des maisons différentes chercher leur aumône et ne prendre, dans chacun des lieux, qu'une petite portion pour leur nourriture permise, de façon que le laïc dont l'aumône est acceptée n'ait pas à cuisiner de nouveau. Ils doivent aussi ne prendre ni légume ni graines crus, ni des aliments qui ont été en contact avec des êtres vivants, y compris ceux pris d'un fourneau brûlant, d'un four ou même d'un réfrigérateur. Un sādhu ne doit pas aller chercher l'aumône s'il pleut, ni accepter une nourriture qui lui serait apportée. Il y a quarante-deux fautes que les sādhus ne doivent pas commettre à ce sujet. Notamment, ils ne doivent jamais prendre de nourriture ou d'eau la nuit. Un laïc doit aussi s'abstenir de commettre un péché en offrant de la nourriture aux sādhus. Tout aliment intoxiqué ou interdit ne doit être consommé ni par les sādhus, ni par les laïcs.

d) Ādāna bhanda matta nikshepa samiti, c'est l'attention en mettant ses habits ou d'autres choses. Un sādhu doit prendre le plus grand soin à vérifier, avant de mettre des vêtements, qu'il n'y a pas, dans les plis, des insectes ou des animalcules qui pourraient être écrasés, blessés ou tués. Il doit faire attention en prenant et déposant les ustensiles et les livres, de même en s'asseyant, etc. Des précautions semblables doivent être aussi prises par les laïcs.

e) Parithāpanikā samiti, c'est l'attention en se débarrassant des excreta. Un sādhu doit faire très attention sur la façon et l'endroit où il dépose ses ordures, ses détritus ou ses excréments, pour ne faire aucun mal même à des insectes ou à des vermisseaux.

2) Les contrôles (guptis).

Le mot gupti signifie limitation, restriction, contrôle. Si samiti nous aide à faire attention à nos activités physiques et verbales, gupti est destiné à limiter et à contrôler nos pensées, nos paroles et notre corps. Il y a trois sortes de guptis :

a) la limitation et le contrôle des activités de la pensée (manogupti). On doit s'interdire au maximum le chagrin, la colère, la joie et l'anxiété (asatkalpanāviyogī). Il faut également maîtriser les effets de l'amour, de la haine, de la peine et du plaisir (samatābhāvinī). On doit aussi être circonspect et penser fermement non aux choses extérieures mais à son âme (ātmārāmatā),

b) la limitation et le contrôle de la parole (vacanagupti). On doit limiter ses paroles en observant le vœu de silence (maunāvalambi), pendant un certain nombre de jours ou en parlant le moins possible et seulement quand c'est absolument nécessaire (vākniyami),

c) la limitation et le contrôle des activités du corps (kāyagupti). On doit être attentif à limiter ses activités physiques suivant les règles fixées par les écritures (yathāsūtracestāniyami).

3) Les épreuves (parīshahas).

Les 22 parīshahas se rapportent à l'endurance de souffrances, d'épreuves, qui doivent être supportées avec sévérité et équanimité pour que tous les karmas puissent être détruits. Elles sont pratiquées surtout par les sādhus et les sādhvis. Ce sont :

La faim. Un moine ne doit pas accepter de la nourriture qui a le moindre défaut ou qui est préparée avec l'une des quarante-deux fautes, même s'il est affamé

La soif. Un moine ne doit pas boire de l'eau qui n'a pas été bouillie, même s'il a soif.

Le froid. Même s'il fait froid, un moine ne doit pas souhaiter avoir un radiateur.

La chaleur. Même lorsqu'il fait chaud, un moine ne doit pas désirer un éventail ou une climatisation.

Les morsures d'insectes. Si un moine est mordu par un insecte, lorsqu'il médite, il ne doit pas le chasser ou être irrité il faut qu'il le retire calmement.

Les vêtements. Un moine qui n'est pas digambara doit accepter n'importe quels vêtements qu'il reçoit.

Un moine ne doit pas faire attention aux paroles méchantes qu'on lui adresse.

Un moine doit supporter d'être frappé et battu.

Un moine doit supporter les maladies.

Un moine doit dormir sur un lit en bois plat ou sur de l'herbe rêche.

Un moine ne doit pas prendre de bain.

Un moine doit supporter des vêtements déchirés et ne doit pas en demander de nouveaux.

Un moine ne doit pas manifester sa honte ou son désarroi, lorsqu'il va mendier des aumônes de porte à porte.

Un moine ne doit pas être inquiet s'il n'obtient pas d'aumône, au contraire, il doit penser qu'il a une occasion supplémentaire de réaliser l'austérité

Un moine ne doit pas être attiré par la beauté des femmes.

Un moine ne doit pas être troublé par l'épreuve, lorsqu'il médite dans un cimetière.

Un moine ne doit pas être agité même s'il souffre ou s'il a du chagrin.

Un moine ne doit pas être orgueilleux, lorsqu'il est honoré

Un moine ne doit pas être irrité lorsqu'il est piqué par des épines, etc.

Un moine ne doit pas être triste de ne pas atteindre la connaissance, même après de bons efforts.

Un moine ne doit pas être déprimé s'il est ignorant et ne peut pas lire. Il doit penser au karmodaya et poursuivre sa connaissance pratique.

Un moine doit essayer de comprendre le message du Jina et ne jamais en douter.

4) Les dix devoirs des sādhus (dasha yatidharma).

Les sādhus observent les dix grands devoirs suivants, de façon très sévère, alors que les laïcs le font à un degré moindre.

Le pardon (kshamā), la politesse (namrata) et la douceur (laghutha), la simplicité (saralāta), l'absence d'avarice (nirlobha), les austérités externes et internes (tapas), le contrôle des sens (samyama), l'absence de paroles condamnables (satya), la pureté mentale (shauca), la non-possessivité (aparigraha) et la chasteté (brahmacarya).

5) Les méditations (bhāvanās).

Bhāvanā signifie la méditation par laquelle on motive son âme à mener de nobles réflexions. Il y a 12 sortes de méditations :

Anitya bhāvanā. Toutes les substances externes, le corps compris, sont transitoires (anitya). Elles sont périssables et, par conséquent, nous ne devons pas avoir de l'attachement pour elles.

Asharana bhāvanā. Les êtres humains connaissent une agitation énorme. Lorsque survient la mort et que l'âme quitte le corps, personne ne peut venir en aide au jiva. Il est impuissant. Sa fortune, sa famille, etc. doivent être abandonnés à ce moment là rien de valable ne peut fournir un refuge, aussi pourquoi compter sur quoi que ce soit ?

Samsāra bhāvanā. Dans le cycle du samsāra, c'est-à-dire des naissances et des morts, la mère peut devenir la femme, la femme peut devenir la mère, l'ennemi l'ami, etc. Combien est futile le samsāra ? Nous ne devons pas avoir d'attachement pour lui.

Ekatva bhāvanā. Je suis seul, je suis né seul, je mourrai seul, je suis malade seul, j'ai à souffrir seul, j'ai à connaître le karma que j'ai gagné seul. Par conséquent, on doit faire attention et se tenir éloigné de l'attachement et de la haine.

Anyatva bhāvanā. Mon corps est transitoire et différent de moi. Je suis l'âme qui n'est pas périssable, alors que mon corps l'est. Même ma fortune, ma famille, etc. ne sont pas miennes. Elles sont différentes de moi, par conséquent, j'abandonne mon attachement pour ces choses.

Ashauca bhāvanā. Mon corps est composé de substances impures. Il est nourri, aussi, par des substances impures. Je veux abandonner les attachements pour mon corps et m'engager dans la discipline de soi, le renoncement et les efforts spirituels.

Āsrava bhāvanā. Penser à l'influx des karmas. Toutes les causes de cet influx doivent être abandonnées.

Samvara bhāvanā. Samvara signifie blocage de l'influx des karmas. On doit méditer sur samiti, gupti, yati dharma, etc. rejeter toutes les activités et essayer de réduire ou arrêter l'asservissement du karma.

Nirjarā bhāvanā. Nirjarā signifie effacer tous les karmas que nous avons. On doit penser aux bienfaits que l'on reçoit de chacune des 12 sortes de tapas ou d'austérité qui facilitent le nirjarā. Il faut méditer sur ces austérités, en vue de détruire les péchés.

Lokasvabhava bhāvanā. Lokasvabhava signifie que l'on doit méditer sur les trois lokas que sont : 1) le monde supérieur, 2) le monde médian, 3) le monde inférieur, et aussi sur tout l'univers rempli d'âmes et de matières.

Bodhidurlabha bhāvanā. Il faut méditer sur la difficulté qu'ont les âmes qui errent, sans but, dans les quatre états d'existence, dans le samsarā, pour atteindre le dharma jaïn. Elles ne doivent pas montrer la moindre négligence dans l'observation de la religion propagée par le Jina.

Dharma bhāvanā. Oh Bienheureux Arhat ! L'omniscient, qui a exposé un excellent shruta dharma et cāritra dharma. Je m'engage moi-même dans ce dharma

On doit pratiquer sans cesse ces méditations.

6) La conduite (cāritra).

Ce point fait l'objet de la leçon pour les seniors (9).

Chapitre 8
Nirjarā

Le mot nirjarā est composé de nir et de jarā. Nir est un préfixe, jarā signifie tomber. Dans la philosophie jaïne, nirjarā veut dire : faire tomber, détruire ou enlever les karmas de l'âme. Lors des leçons sur l'āsrava et sur le samvara, nous avons donné l'exemple de la navigation. Continuons avec cet exemple. Il explique aussi comment agit le karma. Supposez que vous faites du canot. Vous avez du bon temps et, tout à coup, vous remarquez qu'il y a de l'eau dans le bateau. Immédiatement, vous pensez qu'il y a un trou dans la coque et que, s'il n'est pas colmaté, vous allez sombrer. Aussi, la première chose que vous avez faite a été de trouver le trou et de le boucher pour que l'eau ne rentre plus. Vous avez, ensuite, commencé à jeter l'eau, afin que l'intérieur du bateau soit de nouveau sec. L'enlèvement de l'eau s'appelle nirjarā. Les karmas s'accumulent dans notre âme et recouvrent ses qualités, c'est l'āsrava. Leur enlèvement, leur destruction, c'est le nirjarā.

Plus le nirjarā est efficace, plus vite les qualités de l'âme brillent. Une fois que tous les karmas sont effacés, elle va être libérée. Elle est alors capable de montrer toutes ses qualités dans leur plénitude. En fait, nous accumulons des karmas constamment mais nous en stoppons et nous en effaçons aussi jusqu'à un certain point. Par rapport au volume effacé le nirjarā se divise en deux catégories : l'effacement limité (desha nirjarā) et l'effacement complet (sarva nirjarā).

a) L'effacement limité (desha nirjarā) des karmas est ressenti par tous ceux qui souffrent dans l'adversité qui effectuent des pénitences, qui prient, etc. Il a lieu durant toutes les étapes du cheminement spirituel (gunasthanas).

b) L'effacement total (sarva nirjarā) des karmas se produit juste avant la libération. Chaque fois qu'une âme devient omnisciente (kevali) elle a effacé pour toujours, tous les ghāti karmas, mais il lui reste encore à effacer les aghāti karmas. Ceux-ci le sont, pour toujours, juste avant la libération. Une fois libérées, les âmes sont appelées Siddhas.

Lorsque les karmas mûrissent, ils produisent leurs effets. Leurs effets complètement réalisés, les karmas sont considérés comme effacés.

Suivant le processus d'effacement, le nirjarā peut, aussi, être divisé en deux catégories : l'effacement naturel (akam nirjarā) et l'effacement volontaire (sakam nirjarā).

a) Lorsque les karmas mûrissent automatiquement à la date prévue, ils causent de la souffrance. On n'a, dans ce cas, ni contrôle sur la durée et l'intensité de celle-ci, ni d'effort spécial à faire ou de désir particulier ou d'intention de souffrir. Une fois que la souffrance est passée, les karmas qui la causaient sont considérés comme effacés. Le processus naturel de maturation et d'effacement des karmas c'est l'akam nirjarā. Par exemple, quand quelqu'un souffre involontairement ou volontairement en raison du manque de nourriture, les karmas qui causaient cette souffrance sont effacés passivement.

b) Lorsque les karmas sont amenés volontairement, par des efforts spéciaux, à maturité et à produire leurs effets, avant le temps normal, ils sont effacés plus tôt que prévu. Ainsi, on a un contrôle sur ce processus. Ce moyen actif pour effacer les karmas prématurément c'est le sakam nirjarā. Par exemple, quand une personne jeûne volontairement, même si la nourriture qui convient est abondante, elle fait apparaître la souffrance avant le temps prévu et elle efface ainsi les karmas prématurément.

Dans l'akam nirjarā, les conditions de maturité des karmas sont réunies et ceux-ci s'échappent, d'eux-mêmes, après avoir produit leurs effets. Lorsque les karmas perdent leur asservissement de cette façon, on parle d'autodestruction (swathala).

Dans le sakam nirjarā, la destruction a lieu avant son terme naturel, par des efforts spéciaux, au moyen de pénitences (tapas). On parle alors de destruction provoquée (upayanirjarā).

Notre vie est un véritable drame qui consiste à accumuler des karmas et à les effacer. Ce drame ne s'arrête pas tant que nous ne sommes pas parvenus à la libération. Suivant la façon et l'intensité de nos péchés (pāpas), le nirjarā peut être plus ou moins difficile. En vue de stimuler le processus, on donne différents exemples qui montrent comment ce peut être facile ou difficile, par exemple, en faisant référence à de la poussière ou à une tâche sur un vêtement.

La poussière sur un vêtement sec peut être ôtée facilement, en le secouant. Cela devient un peu plus difficile, si le vêtement est mouillé. C'est encore plus dur, si le vêtement est huileux. Il est, par contre, quasiment impossible d'ôter une tâche sur un vêtement, si c'est du goudron. Dans ce cas, il n'y a plus qu'à le jeter.

Par ces exemples, on peut imaginer combien le processus du nirjarā est simple ou compliqué. Dans certains cas, on n'a pas d'autre choix que de supporter les effets des karmas que l'on appelle nikācita karmas. A ce propos, il est sage de se rappeler que le nirjarā est effectué le plus efficacement par les humains uniquement, parce que les autres destinées ont leurs propres limites. Pour les humains, ces limitations sont réalisées uniquement par eux-mêmes.

Les austérités (tāpas).

Les efforts spéciaux pour effacer les karmas sont opérés au moyen de diverses austérités. Le mot austérité signifie une restriction, faite volontairement, en rejetant certains conforts corporels, pour discipliner l'esprit des passions et des plaisirs. Les austérités sont réalisées à diverses occasions et de différentes manières. Toutes ont leur caractère propre. Elles peuvent être effectuées à des niveaux physique et psychique.

Dans une austérité physique, la personne qui la pratique n'a pas le désir intérieur de changer sa vie, c'est juste un acte physique. Dans une austérité psychique, la personne contrôle ses désirs internes, alors qu'elle effectue l'acte physique. Les austérités réalisées de façon psychique produisent les meilleurs résultats. Après tout, leur but n'est pas simplement de faire souffrir notre corps mais de changer nos désirs. Lorsque cela arrive, on est sur la voie de l'élévation spirituelle. Les austérités constituent une partie de la conduite juste.

On distingue les austérités externes et les austérités internes. Les externes (bahyantaras) sont remarquées par les autres, parce qu'elles ont de plus grands éléments physiques que psychiques. Les internes (abhyantaras) ne sont pas remarquées par les autres, parce qu'elles ont plus d'éléments psychiques que physiques.

Chaque catégorie d'austérité est encore divisée en six sortes. Pour les externes (bahyantaras), il s'agit : du jeûne complet (anashana), du jeûne partiel (unaudarya), de la limitation de la nourriture (vritti samkshepa), de la limitation des désirs de mets savoureux (rasa parityāga), de l'endurance corporelle (kāyaklesha) et du contrôle des sens (pratisanlinata). Pour les austérités internes (abhyantaras), il s'agit : de l'expiation (prāyashchitta), de la politesse (vinaya), du service aux autres (vaiyāvrittya), du renoncement (vyutsarga), du devoir spirituel (svādhyājya) et de la méditation ( dhyāna).

1) Les austérités externes (bahyantara tāpas).

Chaque austérité physique externe a son homologue sur le plan mental. On distingue ainsi :

a) le jeûne complet (anashana) qui consiste à renoncer aux aliments et à l'eau, etc. pendant un jour, plusieurs jours ou toute sa vie. Un jour de jeûne complet est appelé upavasa. Jeûner totalement jusqu'à la mort se pratique aussi lorsque la vie est proche de sa fin. Un tel jeûne est considéré comme très favorable. L'homologue du jeûne complet sur le plan mental c'est le contrôle total de nos désirs (bhavānashana). Il peut être réalisé pendant une durée plus ou moins longue. Si cette austérité est cultivée, on devient capable d'efforts pour son élévation spirituelle,

b) le jeûne partiel (ūnaudarya) qui consiste à jeûner de façon moins absolue ou à manger moins qu'à sa faim. Le dharma jaïn prescrit trente-deux poignées de nourriture par jour. Pour réaliser cette austérité on doit manger quelques poignées de moins que prescrit. Sur le plan mental, on peut réaliser la limitation de ses désirs jusqu'à un certain point, (bhāva ūnaudarya). Ce peut être plus difficile que de les contrôler totalement mais une fois qu'on a commencé on est capable de limiter pas mal de choses dans sa vie quotidienne,

c) la limitation du nombre de choses que l'on mange (vritti samkshepa). Cela peut concerner un repas ou toute une journée. Son homologue sur le plan mental c'est la limitation des désirs (bhāva vritti samkshepa). Cela peut concerner une partie de la journée ou toute la journée. Cette austérité vise à contrôler ses désirs afin que son esprit ne vagabonde pas,

d) le renoncement à des mets savoureux (rāsa parityāga). Cela consiste à renoncer à des mets que l'on aime le plus. Ce peut être fait partiellement ou totalement, pendant une courte durée ou durant une période assez longue. L'homologue sur le plan mental c'est la limitation de ses pensées les plus chères (bhāva rāsa parityāga). C'est une austérité plus difficile à faire que les autres. Elle aide à contrôler ses passions même dans les situations les plus tentantes,

e) l'endurance physique (kāyāklesha). C'est, par exemple, rester debout ou assis dans une certaine position pendant une longue période. Cette austérité peut causer de la douleur mais on doit l'ignorer. Son homologue sur le plan mental c'est le contrôle de ses passions (bhava kāyāklesha). Ce contrôle doit être fait même si les tentations sont grandes,

f) le contrôle de tous ses sens (pratisanlinata). Cette austérité a pour but d'éviter les tentations agréables ou non. Pour l'effectuer, on peut rester isolé pendant une nuit ou plus. Son homologue sur le plan mental c'est le contrôle du comportement (bhāva pratisanlinata). C'est se contrôler pour éviter de mentir, de déformer la vérité ou de prendre part à des activités sensuelles. Cette austérité aide à contrôler nos passions comme la colère, l'orgueil, la tromperie, la cupidité.

2) Les austérités internes (abhyantara tāpas).

Les six austérités internes sont :

a) la demande de pardon (prāyashchitta). Cela concerne les différentes erreurs commises, les omissions, les fautes et les péchés faits sciemment ou non. Cette austérité peut être réalisée en présence d'un moine, d'une nonne ou tout seul. Elle aide réfléchir sur soi, en vue de se corriger. même pour une petite faute, nous commençons par dire michchami dukkadam

b) l'humilité (vinaya). On doit cultiver cette vertu envers tout le monde. Elle conduit à la tolérance et à la sympathie envers les autres et elle aide à maîtriser l'ego et la colère. Il y a quatre sortes de vinaya : 1) j'āna vinaya, qui nous fait humbles et respectueux envers ceux qui nous sont supérieurs en savoir et en sagesse, 2) darshana vinaya qui nous rend humbles et respectueux vis à vis de ceux qui ont acquis la vraie foi dans les principes religieux, 3) cāritra vinaya qui nous fait humbles et respectueux de ceux qui ont de bonnes mœurs et qui suivent les principes religieux, 4) māna vinaya, qui nous fait marquer du respect et de l'humilité envers les saints ascètes qui aident les autres à s'élever spirituellement.

c) le service aux autres (vaiyavacana). Il s'agit du service avec dévotion aux maîtres religieux, aux ascètes, aux vertueux, aux sādhus, aux collègues et aux compagnons. On doit spécialement rendre service aux malades et aux faibles. Bien que cette austérité semble être une activité externe, elle rend humble et sert à maîtriser l'ego et la haine.

d) le renoncement (vyutsarga). Là, non seulement on renonce aux activités physiques coupables mais encore aux seize passions intérieures différentes.

e) l'étude des écritures ou la compréhension de soi (svādhyāya). Au moyen des écritures nous essayons de poser des questions telles que Qui suis-je ? Que devrais-je être ? Avec svādhyāya nous comprenons qu'une âme est une chose pure. Cela nous conduit à méditer sur la question Que fais-je dans ce corps ? L'étude nous conduit ainsi à être des âmes pures. Cette étude comprend cinq niveaux :

- lorsqu'on commence à lire les écritures, cela s'appelle vacana,

- lorsque, en lisant, des doutes surviennent, essayer de les résoudre s'appelle pracana,

- lorsque l'on comprend ce qui est juste et que l'on le médite, cela s'appelle anuprekshā,

- lorsqu'on a réalise ce qui est juste, on doit le méditer encore et encore pour, ainsi, rester au point. Cette réalisation s'appelle āmnayā.

- lorsque l'on a appris ce qu'est le soi, on doit l'enseigner aux autres, c'est ce que l'on appelle dharmopadesha.

Les cinq svādhyāyas ci-dessus sont externes, mais elles conduisent au svādhyāya interne sur le soi. Ainsi, on acquiert la perception juste et la connaissance juste qui mênent à la conduite juste et qui ouvrent la voie à la libération finale,

f) la concentration de la pensée ou méditation (dhyāna). Cette concentration peut émaner de passions intenses comme l'attachement, la luxure, l'animosité ou de la recherche de la vérité et du détachement absolu des affaires du monde.

La méditation se divise en quatre catégories : ārta dhyāna, raudra dhyāna, dharma dhyāna, et shukla dhyāna.

Dans ārta dhyāna (la méditation pénible), on pense à la perte des êtres chers, au développement d'une nouvelle relation avec quelqu'un de désagréable, à la maladie physique, etc.

Dans raudra dhyāna (la méditation violente) on est absorbé dans une vengeance pour un dommage ou par la perte causée par d'autres.

Ces deux sortes de méditations provoquent l'accumulation de mauvais karmas, il faut donc les éviter.

Dharma dhyāna (la méditation sur la loi religieuse) consiste réfléchir aux voies et aux moyens de la réalisation de soi.

Shukla dhyāna (la méditation pure) consiste à se concentrer sur la pureté de l'âme.

Dharma et shukla dhyānas aident éliminer les karmas. Par conséquent, pour le nirjarā on doit pratiquer ces deux dhyānas. Si la méditation sur dharma dhyāna est au niveau le plus haut on peut détruire complètement le mohanīya karma et, dans 48 minutes qui suivent cette destruction, le j'ānavaraniya, le darshanāvaraniya et l'antāraya karmas, et l'on devient un kevali.

3) Autres austérité (tāpasyas).

Il y a quelques autres austérités externes ordinaires. Ce sont :

a) la prise de nourriture et d'eau quarante minutes après le lever du soleil (navkarsi). Même le brossage des dents et le rinçage de la bouche doivent être effectués après le lever du soleil,

b) la prise de nourriture et d'eau trois heures après le lever du soleil (porsi),

c) la prise de nourriture et d'eau quatre heures et trente minutes après le lever du soleil (sadhu-porsi),

d) la prise de nourriture et d'eau six heures après le lever du soleil (purimuddha),

e) la prise de nourriture et d'eau huit heures après le lever du soleil (avadhdha),

f) la prise de nourriture, deux fois par jour, assis en un seul lieu (biyasana),

g) la prise de nourriture, une fois seulement, assis en un seul lieu (ekāsana),

h) la prise de nourriture, une fois en un seul repas. Elle ne doit avoir ni goût, ni épices et être bouillie ou cuite. On ne doit pas employer non plus, du lait, du caillé, du ghee, de l'huile et des légumes verts ou crus (ayambil),

i) l'abstention de toute nourriture pendant vingt-quatre heures, du lever du soleil au lever du soleil du jour suivant (upavāsa),

j) la boisson d'eau bouillie uniquement, pendant l'upavāsa (tivihar upavāsa),

k) l'abstention de boire de l'eau durant l'upavāsa (chauvihar upavāsa),

l) l'abstention de nourriture et de jus après le coucher du soleil. On peut seulement boire de l'eau jusqu'au lever du soleil du jour suivant (tivihar),

m) l'abstention de nourriture et d'eau après le coucher du soleil jusqu'au lever du soleil du jour suivant (chauvihar),

n) la pratique de l'upavāsa pendant deux jours consécutifs (chhatha),

o) la pratique de l'upavāsa pendant trois jours consécutifs (attham),

p) la pratique de l'upavāsa pendant huit jours consécutifs (atthai),

q) la pratique des upavāsas pendant un mois (masakshamana),

r) chaque année, durant neuf jours, qui partent du 6/7 âme jour de la quinzaine brillante jusqu'à la pleine lune des mois d'ashvina et de caitra, on peut pratiquer le navapad oli. Cela est réalisé pendant les quatre années et demie qui suivent. Ces jeûnes peuvent aussi être limités à une seule sorte de grains d'alimentation par jour,

s) varshitapa, Vardhaman et visasthanaka tāpas, etc.

Dans ekasāna, biyasana, ayambil ou upavāsa on boit uniquement de l'eau bouillie et cela entre le lever et le coucher du soleil. Il est bon de faire, si on le peut, un chauvihar ou un tivihar, avant de les commencer. Si ces austérité comportent de la nourriture, on ne doit pas, lors qu'on y procède, consommer des légumes crus, des racines qui poussent dans le sol, et des grains non cuits.

Chapitre 9
Cāritra

Cāritra signifie la conduite. Ce n'est pas seulement faire de bonnes ou de mauvaises actions, c'est plus que cela. Cāritra c'est aussi limiter nos désirs intérieurs de façon qu'aucun mal ne soit fait à une autre créature vivante, peu importe sa forme ou sa petite taille. Cāritra atteint son sommet lorsque nous n'avons ni attachement, ni haine pour les choses qui nous entourent. Ce n'est pas si facile que ça parce que, en général, nous prenons de nouvelles habitudes lorsque nous en abandonnons de vieilles. Pour les changer, nous devons recourir à l'aide de vœux volontaires. Ainsi, nous parvenons à restreindre ce que nous faisons et comment nous le faisons, ce qui finalement nous habitue à une vie contrôlée naturellement. Bien que certaines personnes fassent des vœux différents, nous devons avoir comme but ultime de parvenir à la conduite juste.

Ainsi que mentionné dans les écritures jaïnes, les vœux ont été divisés en deux grands groupes :

1) les grands vœux ou vœux majeurs (mahāvratas) des moines et des nonnes,

2) les petits vœux ou vœux mineurs (anuvratas) des laïcs.

Les grands vœux de non-violence, de sincérité d'honnêteté de chasteté et de non-possession doivent être respectés mentalement, verbalement et physiquement de façon absolue. Chacun a trois aspects. Il doit être observés de façon à ne pas commettre soi-même des actes contraires, de ne pas demander à d'autres de les commettre et de ne pas encourager d'autres à les faire. Ceux qui désirent observer ces vœux renoncent volontairement à leur vie dans le monde. Ils deviennent des sādhus (moines) et des sādhvīs (nonnes). On les appelle aussi des sans toit (anagārīs).

Les petits vœux sont ceux des laïcs car il est difficile, pour eux, d'observer les grands. Les petits vœux ne sont pas aussi rigoureux. Ceux qui les font sont appelés shrāvakas (pour les hommes), shrāvikās (pour les femmes) ou agārīs (maîtres de maison).

Les grands vœux (mahāvratas).

Les cinq grands vœux des ascètes (moines et nonnes) sont :

a) le vœu de non-violence absolue (ahimsā vrata) qui doit être observés mentalement, verbalement et physiquement de façon totale, y compris dans les besoins quotidiens,

b) le vœu de sincérité absolue (asatya vrata) qui consiste à s'engager à ne jamais mentir mentalement, verbalement et physiquement et dire toujours la vérité

c) le vœu d'honnêteté absolue (asteya vrata) qui consiste à s'engager à ne jamais commettre de vol mentalement, verbalement et physiquement. Rien ne doit être pris qui n'ait été offert ou donné par son propriétaire,

d) le vœu de chasteté absolue (brahmacarya vrata) qui doit être observé de façon totale mentalement, verbalement et physiquement. A propos de ce vœu, un moine, une nonne, ne peut pas toucher ou penser à un membre du sexe opposé même s'il s'agit d'enfants,

e) le vœu de non possession complète (aparigraha vrata) qui consiste à abandonner la cupidité et les possessions matérielles mentalement, verbalement et physiquement. Seuls sont conservés par les ascètes les articles indispensables à la vie quotidienne. (Les moines digambara parvenus au sommet du renoncement ne portent même pas de vêtement, pour cette raison).

Les petits vœux (anuvratas).

Les cinq petits vœux des laïcs sont :

a) le petit vœu de non-violence (prānātipāta viramana vrata) qui doit être est observé envers les êtres vivants qui ont de deux à cinq sens mais il est aussi recommandé aux laïcs de faire très attention pour minimiser la violence envers les êtres vivants qui n'ont qu'un seul sens,

b) le petit vœu de sincérité (mrishāvāda viramana vrata) qui consiste à promettre de veiller attentivement à ne pas dire de mensonges,

c) le petit vœu d'honnêteté (adattādāna viramana vrata) qui consiste à s'engager fermement à ne pas voler ou à ne pas emprunter ce qui appartient à d'autres sans leur autorisation,

d) le petit vœu de chasteté (maithuna viramana vrata) qui consiste à promettre d'être fidèle à son conjoint et de ne pas avoir de relations extra-conjugales,

e) le petit vœu de non-possession (parigraha viramana vrata) par lequel le gain pour des possessions matérielles et l'avidité pour amasser doivent être réduits au minimum possible.

Les vœux qui aident (gunavratas).

Ces vœux, au nombre de trois, ont pour but de faciliter aux laïcs l'observation des cinq précédents et de permettre qu'ils soient suivis avec plus d'efficacité. Ce sont :

a) le vœu de mettre des limites, sur le plan géographique, aux déplacements et à l'activité professionnelle. C'est le digvrata parimāna. Puisque le laïc doit se restreindre pour satisfaire ses besoins, il lui faut limiter ses désirs à l'intérieur du territoire indispensable,

b) le vœu de limiter la consommation et l'usage des choses, qu'elles soient employées une ou plusieurs fois. C'est l'upabhogaparibhoga parimāna vrata. Dans ce vœu, il faut aussi limiter le type d'activité à exercer, parce que certaines exposent plus à la violence que d'autres.

c) le vœu de ne pas commettre, sans raison, des activités coupables. C'est l'anarthadanda vrata.

Les vœux qui disciplinent (shikshā vratas).

Ces quatre vœux, pour les laïcs encore, sont :

a) le sāmāyika vrata qui, puisque nous vivons une vie sociale et que nous ne pouvons pas passer beaucoup de temps à effacer les karmas, nous fait consacrer au moins quarante-huit minutes, chaque jour, à de tels efforts. Durant ces minutes, nous abandonnons toutes nos responsabilités familiales, sociales, économiques et culturelles et nous nous contrôlons mentalement, verbalement et physiquement. Nous devons nous concentrer sur des lectures religieuses ou méditer, ce qui évite l'afflux de nouveaux karmas et aide à effacer les anciens. Ces 48 minutes nous donnent un aperçu sur la difficulté ou la facilité de nous contrôler. Une fois qu'on en a pris l'habitude, on peut aller au-delà de 48 minutes.

b) le deshāvakāshika vrata qui se fait au moment où l'on se réveille pour mettre une limite définie aux activités de la journée et donc à son exposition à l'accumulation de karmas. On apprend ainsi à mener une vie mieux contrôlée.

c) le poshadha vrata qui nous enseigne à vivre, pendant une journée entière, comme un ascète (moine ou nonne). En faisant ce vœu, on abandonne, ce jour-là les responsabilités familiales, sociales, économiques et culturelles. On doit pratiquer ce vœu aussi souvent que possible afin que les nouveaux karmas soient diminués et les anciens mis au rebut. Si ce vœu paraît facile à observer, il peut conduire à l'état de moine ou de nonne.

d) l'atithisamvibhāga vrata qui nous enseigne à partager. Le partage est plus valable quand une personne inattendue et dans le besoin frappe à notre porte et que nous lui donnons de bon cœur. Les moines et les nonnes sont les meilleurs récepteurs de ce type de partage. Toutefois, quand nous donnons, nous ne devons avoir aucun regret ou aucune attente dans notre esprit. En donnant nous manifestons du détachement avec le sentiment que rien n'est à soi. L'observation de ce vœu conduit à la libération de la vie mondaine.

En faisant ces vœux, nos pensées sont aussi très importantes. Elles doivent être positives et avec l'intention de détruire les karmas.

Parfois, nous agissons pour plaisanter ou pour embêter nos amis et nos adversaires. Nous devons comprendre que ces actions attirent des karmas. Les vœux nous rappellent qu'il ne faut pas accumuler des karmas dont nous n'avons pas besoin.

Il y a trois obstacles courants à nos vœux, ce sont : la tromperie, l'attente, et la fausse croyance.

a) La tromperie (māyā). Lorsque nous faisons un vœu, ce doit être pour l'amélioration de notre âme. Ce n'est pas pour se mettre en valeur ou par recevoir des louanges. Ce n'est pas, non plus, pour tromper les autres, sinon il produit des effets moindres.

b) L'attente (niyanu) Beaucoup d'entre nous faisons des vœux pour gagner, en retour, quelque chose de matériel. Ce n'est pas bien parce que, non seulement nous dépensons ce que nous gagnons mais encore nous perdons de vue le but essentiel qui est de détruire les karmas.

c) La fausse croyance (mithyātva). Cela se produit quand quelqu'un, sans croire à la libération, fait des vœux en pensant qu'ils lui apporteront le bonheur absolu dans cette vie. Nous ne devons pas oublier que les austérités sont effectuées pour libérer l'âme errant dans le monde. Nous devons comprendre la valeur des vœux mentalement, verbalement et physiquement, sinon ils ne produisent pas de bons résultats.

Si nous arrivons à suivre ces règles morales, nous vivons finalement selon la conduite juste.

Chapitre 10
Praticabilité d'ahimsa

Les Jaïns ayant affirmés que la doctrine de l'ahimsā constituait leur principe fondamental, tout leur code moral a été établi en vue de son application pratique. En conséquence, la plus grande importance a été donnée à l'observation de ce principe comme base de la conduite juste pour atteindre le salut. Du fait de l'étendue de cette doctrine et de sa pratique, les écritures jaïnes ont défini, de façon spécifique et dans les moindres détails, leurs règles de conduite. Mais, lorsque l'on se rend compte des implications théoriques extrêmement vastes pour leur application de façon continue et sans aucune faute, la question se pose quelquefois de la possibilité de pratiquer le vœu d'ahimsā. On a peur qu'il soit difficile de le faire. Après un examen approfondi de ces règles de conduite, on va voir que cette crainte n'est pas fondée.

1) Catégorisation de l'ahimsā.

Il est exact que les règles de conduite établies par le Jaïnisme pour parvenir au salut, qui est la but suprême de la vie, sont les mêmes pour tous. Néanmoins, elles ont été divisées en deux catégories, à savoir la conduite complète (sakala cāritra) et la conduite partielle (vikala cāritra), les ascètes observant la conduite complète, les laïcs la conduite partielle.

Dans le Purushārthasiddhi-upaya, les laïcs sont invités à suivre la voie des trois joyaux (ratna-traya), c'est-à-dire la foi juste, la connaissance juste et la conduite juste, même partiellement, A chaque instant et sans arrêt, pour leur libération éternelle. Cette division a été faite parce que la conduite complète n'est possible que par ceux qui sont entrés dans l'ordre ascétique. La conduite partielle, pour les laïcs, est celle qui leur est recommandée de suivre en attendant leur entrée, plus tard, comme ascètes. Cela signifie que la conduite partielle est le prélude de la conduite complète. La conduite partielle est aussi appelée la conduite de ceux qui pratiquent des petits vœux (ekādesavirati), la conduite complète celle de ceux qui pratiquent les grands vœux (samastavirati). D'après ces divisions, il est clair que l'accent a été mis sur les capacités de chacun. Les laïcs sont encouragés à suivre les règles de la conduite juste, en tenant compte de leurs situations respectives dans la vie, de leur pouvoir individuel et de leurs aptitudes à les suivre. Il est ainsi clair que le petit vœu (anu-vrata) d'ahimsā doit être mis en pratique, par les laïcs, en fonction de leurs situations et de leur capacités, tandis que le grand vœu (mahā-vrata) d'ahimsā doit l'être, par les ascètes, sans aucune exception.

2) Observation de l'ahimsā par les laïcs.

L'ahimsā devant être observée par les laïcs, suivant leur situation et leur capacité dans leurs activités normales en tant que membres de différents groupes de travailleurs ou autres, certaines limites apparaissent naturellement. En tant que membre actif de la société il est impossible, pour un laïc, d'éviter totalement la violence dans ses formes et dans son étendue. Le renoncement à ses neuf formes : par soi-même, par d'autres, et en approuvant d'autres, en pensées, en paroles et en actions est connu sous le nom de renoncement complet ou parfait (austargiki nivritti). Quand le renoncement ne comprend pas les neuf formes ci-dessus dans toute leur étendue, on parle de renoncement partiel ou imparfait (apavadiki nivritti). C'est pourquoi il est demandé au laïc de limiter ses responsabilités et de prendre les précautions nécessaires pour causer le minimum de violence (himsā) aux autres.

Suivant les cas, la violence (himsā) a été classée en quatre sortes : professionnelle, domestique, défensive ou protectrice et intentionnelle.

a) La violence professionnelle (udyami himsā) est celle qui a lieu dans la pratique d'un métier ou d'une occupation comme, par exemple, soldat, agriculteur, commerçant, industriel, etc.

b) La violence domestique (graharambhi himsā) est celle commise inévitablement lors de la réalisation des tâches ménagères, comme la préparation des repas, le nettoyage des choses, la mouture de la farine, la construction d'une maison, le creusement d'un puits, la marche, le bain et autres actes de la vie courante.

c) La violence protectrice (virodi himasā) est celle réalisée inévitablement pour la défense de quelqu'un ou pour protéger son bien de l'agression des autres.

d) La violence intentionnelle (samkalpi himsā) est celle commise de façon délibérée, volontaire, par exemple pour tuer quelqu'un par animosité par cupidité pour abattre des animaux pour se nourrir, par amusement, pour décorer son salon, etc.

Il est très important de noter qu'il est exigé des laïcs de s'abstenir absolument de toute violence intentionnelle et de réduire au minimum de ses possibilités les violences professionnelles, domestiques et protectrices.

La violence est aussi fonction de la sorte d'êtres vivants. On distingue ainsi, dans les écritures saintes jaïnes : la sthula himsā et la sūkshma himsā.

a) La sthula himsā consiste à supprimer ou à de faire du mal aux formes plus évoluées de la vie que les êtres n'ayant qu'un seul sens (ekendriya). Cette violence est interdite à tout Jaïn.

b) La sūkshma himsā comporte l'interdiction de tuer ou de blesser même des êtres n'ayant qu'un seul sens. Elle s'applique à tous les ascètes. Les laïcs sont aussi invités à éviter, le plus possible, de tuer cette catégorie d'êtres et de supprimer, sans raison, les âmes immobiles (sthavara-jiva), comme les arbres, etc.

On distingue enfin la dravya himsā et la bhava himsā. La violence ne se produit pas seulement par des actes physiques, elle est également liée à l'activation des passions ou des désirs, comme la colère, la cupidité, etc.

La dravya himsā est l'action réelle de faire du mal, alors que la bhava himsā est l'intention de tuer ou de blesser. La draviya himsā est aussi appelée bahya himsā parce qu'elle peut être vue par les autres, alors que la bhava himsā est appelée antargata himsā car les autres ne peuvent pas la voir.

3) Observation de l'ahimsā par les ascètes.

La situation des ascètes est différente de celle des laïcs. Alors que les laïcs doivent observer la non-violence de façon partielle (apavadiki nivritti), les ascètes doivent le faire de manière absolue (autsargiki nivritti).

Les ascètes évitent les quatre sortes d'himsā (professionnelle, domestique, protectrice et intentionnelle) puisqu'ils ne sont absolument pas concernés par des activités comparables à celles des laïcs. Ils observent l'ahimsā de neuf façons comme cela a établi par les écritures saintes jaïnes, c'est-à-dire qu'ils s'abstiennent de violence par eux-mêmes, par l'intermédiaire ou l'approbation de quelqu'un d'autre, et cela en pensées, en paroles et en actions.

Ce renoncement total à la violence peut sembler difficile. Il pose la question de savoir ce que font les ascètes lorsqu'ils marchent, sont assis, dorment, s'alimentent, parlent, etc. Bien que cette question pose problème, il lui a été répondu de la façon suivante : l'ascète doit marcher, s'asseoir, dormir, s'alimenter avec attention et vigilance, afin d'éviter de faire du mal aux êtres vivants quels qu'ils soient. Ainsi, d'après les saintes écritures jaïnes, un ascète peut pratiquer l'ahimsā de la façon la plus large possible.

Il apparaït, dès lors, que le vœu d'ahimsā peut être réellement pratiqué à la fois par les laïcs et par les ascètes, en conformité absolue avec les différents commandements qui figurent dans les écritures saintes jaïnes.

L'Ahimsā et la négativite

Beaucoup de personnes estiment que la doctrine de l'ahimsā a un caractère essentiellement négatif, en ce sens qu'elle interdit d'exercer diverses activités. Il est considéré que, dans le Jaïnisme, l'ahimsā est traité comme une simple abstention de violence. En appliquant ce principe d'abstention ou de rejet d'activité dans différents domaines, les fidèles sont l'objet d'interdictions telles que : ne pas dire de mensonges, ne pas voler, ne pas commettre d'actes impurs, ne pas avoir d'attachements terrestres, etc. Mais, en examinant de plus près le vœu d'ahimsā et ses implications dans la vie courante, il apparaît évident que cette accusation n'est pas totalement fondée. Il est, certes, vrai que le Jaïnisme met un certain nombre de restrictions de nature diverses à la conduite des humains dans leur vie en ce monde. Ces restrictions ont été prescrites dans le but de leur donner des règles de conduite de façon que, lorsqu'ils s'acquittent de leurs tâches et de leurs occupations normales, ils fassent le moins de mal possible aux autres êtres vivants. Mais, il faut noter que le sens du mot ahimsā ne se limite pas uniquement à cet aspect négatif. Il a été étendu, de façon précise, pour comprendre un aspect positif. C'est la raison pour laquelle il a toujours été fortement demandé aux laïcs, par le Jaïnisme, de faire toujours des efforts en matière de tolérance et de pardon et de montrer de la compassion en faisant la charité à ceux qui ont besoin d'aide, avec des restrictions concernant leur conduite. Cela signifie que l'aspect positif constitue un élément inhérent à la doctrine de l'ahimsā. Ainsi, il est demandé aux laïcs 1) de faire la charité 2) d'organiser des activités sociales et 3) de répandre la tolérance.

1) La charité

Comme partie fondamentale de l'observation du vœu d'ahimsā, il est spécialement requis des laïcs qu'ils donnent régulièrement une partie de leurs revenus sous forme d'actes charitables. Dans le Tattvartha Sūtra la charité a été définie comme le don de ce que l'on a pour le bien des autres. La charité est ainsi toujours recommandée, parce qu'en donnant ce que l'on a aux autres, on exerce un contrôle sur son avidité qui n'est rien d'autre chose qu'une forme de violence. Le texte sacré jaïn Purusharthasiddhiupaya dit aussi « En faisant un don, on vainc l'avidité qui est une forme de violence ». Ainsi, les dons faits aux bénéficiaires méritants reviennent au renoncement à l'himsā (c'est-à-dire l'observation de l'ahimsā).

En faisant la charité celui qui donne doit le faire de la façon suivante, afin de la rendre plus pure :

a) il ne doit attendre aucun gain, aucune récompense, dans ce monde, en échange,

b) il doit être indulgent et donner calmement, sans colère (ce qui signifie qu'il ne doit pas être énervé si quelque chose arrive alors qu'il est occupé à l'acte pieux de faire des dons),

c) il doit éprouver des sentiments de bonheur et avoir un air joyeux, lorsqu'il fait la charité

d) il doit agir en toute sincérité et faire ses dons sans fausseté

e) il ne doit pas avoir de sentiments de jalousie ou d'envie,

f) il ne doit pas avoir de sentiment de regret ou de repentir,

g) il ne doit pas éprouver d'orgueil, en faisant ses dons.

Pour le bien de la charité il est exigé des donateurs qu'ils veillent à ce qu'elle soit faite aux personnes qui conviennent. Les récipiendaires, appelés patra sont classés en trois catégories, en fonction de leur foi dans la religion et de leur conduite dans la vie, ce sont :

a) de bons récipiendaires, s'ils ont la foi juste, s'ils pratiquent les vœux et s'ils utilisent les dons avec sagesse (on les appelle des supatra),

b) des récipiendaires déficients, s'ils ont une bonne conduite extérieure mais pas vraiment la foi juste (on les appelle des kupatra),

c) des récipiendaires indignes, s'ils n'ont ni conduite extérieure convenable, ni véritable foi juste (on les appelle des apatra).

Manifestement, faire la charité aux premiers est hautement recommandé, aux seconds n'est pas encouragé, et aux troisièmes nettement prohibé

2) L'aide aux activités sociales ou de bien-être.

Il est important de noter que les écritures saintes jaïnes ont fixé des conditions à observer bien conçues, dans la façon de faire la charité. Elles ont aussi considérablement défendu la portée et l'importance de celle-ci, aussi bien concernant les récipiendaires que le contenu des actes charitables. Bien que la charité ne soit encouragée qu'envers les supatra l'activité sociale (karunā-dāna) est conseillée comme étant de la compassion envers toute personne qui le mérite, c'est à dire : qui a faim ou soif, qui est malade ou dans la détresse, handicapée, infirme ou dans un état comparable. Par conséquent, la karunā-danā a une étendue plus large que la charité. Elle n'est pas limitée aux seuls Jaïs, elle est étendue à tous les êtres humains qui en ont besoin. Elle est généralement considérée de quatre sortes :

a) don de nourriture (āhāra-danā),

b) don de médicaments (aushadhil-danā),

c) don d'un abri, d'une protection du danger, d'une attaque, d'une intimidation, d'une menace (abhaya-danā),

d) don de livres ou communications de savoir (sāstra ou vidyā-danā).

3) L'insistance sur l'esprit de tolérance.

L'aspect positif de l'ahimsā, tel que l'indiquent les écritures saintes jaïnes, est étendu à l'insistance sur l'esprit de tolérance, en complément de l'encouragement à effectuer des dons charitables et à pratiquer des activités sociales. Cela signifie qu'en conformité avec la doctrine de l'ahimsā, la violence par le canal de la parole ou de la pensée doit être évité, comme la violence ordinaire physique, en observant la tolérance envers les personnes d'intelligence, de religion et d'autres domaines différents.

En relation avec cela, on peut affirmer que la tolérance est la caractéristique de l'idéologie jaïne, car le Jaïnisme a toujours considéré qu'il est mauvais, sinon dangereux, de prétendre que seule sa doctrine représente la vérité Comme conséquence, les écritures saintes jaïnes ont toujours recommandé aux Jaïns de tous ordres de ne manifester aucun sentiment hostile ou haineux pour les fidèles d'autres religions, mais au contraire d'avoir envers eux un esprit de tolérance et de coopération. C'est la raison pour laquelle ils ont toujours observé le principe de tolérance intellectuelle et religieuse. Même les monarques et les généraux des forces armées jaïnes ont, sur ce plan, une réputation parfaite et louable à leur crédit. L'histoire politique de l'Inde ne mentionne aucune persécution, de la part de rois jaïns, même lorsque des moines et des laïcs de même confession qu'eux souffraient beaucoup aux mains d'autres religieux fanatiques. Sur ce point, le Dr. B.A. Saletore, le célèbre historien du Karnataka, a justement observé ce qui suit :

Le principe d'ahimsā a été en partie la cause de la plus grande contribution des Jaïns à la culture hindoue concernant la tolérance. Quoique l'on puisse dire concernant la rigueur avec laquelle ils ont détendu leurs principes, la ténacité et l'adresse avec lesquelles ils ont rencontré et battu leurs opposants dans les controverses religieuses, on ne peut nier qu'ils ont encouragé le principe de tolérance plus sincèrement et avec plus de succès qu'aucune autre communauté en Inde

Chapitre 11
Prière et Dhyan

Comme le Jaïnisme croit fermement à la doctrine du karma et met sa confiance uniquement dans le progrès de la force spirituelle par des efforts personnels et, de plus, comme il encourage ses adeptes à bien considérer que nous ne pouvons pas prendre refuge ou être sauvés par un autre que nous-mêmes (asarana-bhavana), la question se pose, naturellement, de la place de la prière dans cette religion ? Comme le Jaïnisme ne croit pas en Dieu ou dans l'existence d'une divinité extérieure qui contrôle la destinée humaine, toute idée de prière paraît hors de propos, pour les deux raisons principales suivantes.

1) L'âme libérée et devenue Siddha n'a plus de désirs, ni de motivations. Sa nature est celle d'un omniscient ou d'un prophète. Si des prières pouvaient être agréables aux Siddhas, certaines pourraient aussi leur déplaire. De même, si un Siddha pouvait dispenser des faveurs ou des sanctions, ce serait lui attribuer des faiblesses humaines et ainsi nier sa libération.

2) Une fois que l'on accepte la doctrine du karma, toutes les conséquences en découlent. Par conséquent, à moins que les prières soient conformes à cette doctrine, elles restent absolument sans effets.

Il serait, Néanmoins, totalement erroné de dire que les prières n'ont aucune place dans cette philosophie. Les Jaïns ne considèrent pas qu'elles sont des moyens d'obtenir des faveurs des Siddha ou même des Arhats. Les prières jaïnes ne sont rien d'autre que des manifestations de reconnaissance et d'admiration des vertus que possèdent les âmes libérée et l'expression de leur ardent désir de les posséder, à leur tour, dans leur vie. C'est la raison pour laquelle les écritures saintes jaïnes ont énuméré de façon précise, les vertus des différentes catégories d'âmes, telles que Arhats, Siddha, Ācārya, Upādhyāya et Sādhu.

C'est un point fondamental de la religion jaïne que les prophètes (Tīrthankaras) et leurs enseignements sont seulement là pour nous montrer la voie qui permet de parvenir à la libération. Mais, comment l'acquérir et mettre leurs enseignements en pratique sont laissés entièrement à notre initiative. Nous arrivons seulement au niveau de ce que nous faisons. C'est pourquoi, la voie montrée par ceux qui sont parvenus à la libération doit être étudiée avec un respect et une sincérité maxima, parce qu'il est prouvé que c'est celle qu'ils ont réellement suivie durant leur vie et qui les a mené au succès. Aussi, nous sentons-nous très reconnaissants envers ces grandes âmes d'avoir été des guides si utiles. C'est pourquoi, dans la prière, nous leur exprimons notre gratitude, nous vantons et nous énumérons leurs vertus et nous souhaitons qu'elles puissent également fleurir dans nos vies. Les prières nous rappellent constamment ce qui les a fait grands et elles nous aident à pratiquer ces vertus. Dans la philosophie jaïne, voilà la raison des prières

Il est intéressant de noter que la plus remarquable, connue sous le nom de Navakāra Mantra, ne s'adresse pas à une personne ou à une secte et qu'elle ne demande rien en retour. Elle ne fait qu'offrir notre sincère vénération aux âmes qui sont libérées ou qui sont sur la voie de l'être.

Namo Arihantānam - Je m'incline avec respect devant tous les Arhats.

Namo Siddhānam - Je m'incline avec respect devant tous les Siddhas.

Namo Āyariyānam - Je m'incline avec respect devant tous les Ācāryas.

Namo Uvajjhāyānam - Je m'incline avec respect devant tous les Upādhyāyas.

Namo Loe Savvasahūnam - Je m'incline avec respect devant tous les Sadhūs et toutes les Sadhvīs.

Les Arhats sont ces âmes bénies qui sont parvenues à effacer avec succès tous les ghati karmas qui affaiblissaient leurs pouvoirs. Les Siddhas sont ces âmes qui ont atteint la libération finale et qui, dans un état incorporel, se trouvent dans une béatitude parfaite. Les Ācāryas sont ces âmes miséricordieuses qui nous enseignent la voie du salut. Les Upādhyāyas, les Sadhūs et les Sadhvīs sont ces saints, actuellement sur la voie, qui font des efforts pour atteindre la libération.

Ces cinq sortes de grandes âmes sont appelées Panca-Paramesthin (les cinq autorités spirituelles supérieures). Les unes sont libérées, les autres sont sur la voie de l'être. Un Jaïn s'incline avec respect devant toutes, non pas nécessairement parce qu'elles ont observé ou parce qu'elles sont en train d'observer des règles religieuses particulières, mais parce qu'elles ont atteint ce qui en valait le plus la peine ou parce qu'elles s'efforcent de l'atteindre.

Comme l'ācārya Hemacandra l'a dit : Je m'incline avec respect devant celui dont toutes les passions, comme l'attachement et la malice, qui sèment les graines des diverses renaissances, ont été détruites. Peu importe que ce soit Brahma, Vishnu, Sankara ou Jina

Les Jaïns ont bâti de grands et beaux temples et ils vénèrent les statues de marbre géantes et sereines des Tirthankara selon des règles propres. Il semble qu'ils ont adopté cette vénération à une époque tardive, car les écritures saintes ne mentionnent jamais que Mahāvīra l'ait fait à un moment quelconque de sa vie. (Un certain nombre de sections jaïnes ne la pratiquent toujours pas). En fait, l'important, pour les doctrines jaïnes, c'est essentiellement l'atman (l'âme), qui n'a pas de forme. Il devrait s'en suivre, logiquement, qu'orner les statues de bijoux et autres décorations et faire des processions avec elles, etc. n'ont pas d'arrière-plan ou de justification philosophique, excepté peut-être, comme expression de dévotion. La parure d'ornements scintillants à quelqu'un qui est un vītarāga (c'est-à-dire à quelqu'un qui a renoncé à tout attachement) est une négation grossière de tout ce qu'affirme le Jaïnisme et une perversion regrettable de ses doctrines fondamentales.

Ainsi, les prières ou bhakti sont perçues de façon particulière, par les Jaïns, mais elles ont une place importante dans leur pensée.

A) La méditation (dhyāna)

La méditation occupe une place éminente dans la philosophie jaïne. Son approche est purement psychologique. Elle est comprise dans le sens très large d'engagement de la pensée. L'esprit humain pense constamment à des choses bonnes ou mauvaises, nécessaires ou non, d'effet immédiat ou non. Les grands maîtres Jaïns ont tenu compte de ce fait et analysé l'engagement de la pensée en quatre catégories : la méditation douloureuse ou pénible, la méditation cruelle ou violente, la méditation sur le dharma et la méditation pure. Elles concernent tous les états de la pensée. Les deux premières catégories sont défavorables, les deux autres favorables. Les deux premières sont la cause des transmigrations dans le monde, les deux autres conduisent à la libération.

La méditation douloureuse (ārta dhyāna). Le mot ārta signifie douleur. Lorsque nos expériences pénibles ont prise sur notre état mental, nous faisons ce type de méditation. On en distingue quatre sous-catégories :

a) lorsque nous rencontrons des circonstances pénibles ou s'y rapportant et que nous pensons à elles (anista samyoga ārta dhyāna),

b) lorsque nous perdons une relation ou une situation heureuse et que nous pensons à elle (ista viyoga ārta dhyāna),

c) lorsque nous restons à penser ou à nous inquiéter d'une douleur ou d'une maladie (roga cinta ārta dhyāna),

d) lorsque nous pensons constamment ou que nous sommes ennuyés par des objectifs que nous ne pouvons pas atteindre (nidana ārta dhyāna).

Dans ces quatre situations nous sommes contrarié, malheureux, notre esprit reste triste, ce qui nous apporte plus de mauvais karmas.

La méditation cruelle (raudra dhyāna). Le mot raudra signifie cruel, rude. Quand notre esprit est plein de colère, de haine, de malice et qu'il devient violent, en pensant à de mauvaises actions, nous passons par cette sorte de méditation. Avec ces pensées, nous pratiquons des activités immorales. Toutes les actions mentales ayant pour but de nous agripper au pouvoir et à la richesse, aux plaisirs sexuels, aux agissements associaux, entrent dans cette classification. On distingue quatre sous-catégories de méditations cruelles :

a) penser avec délice à tuer, à écraser ou à détruire des êtres vivants soi-même ou par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre (himsānandi raudra dhyāna),

b) penser avec plaisir à mentir, à composer de la littérature trompeuse et à amasser des biens par des moyens frauduleux (mrisanandi raudra dhyāna),

c) penser avec plaisir à voler et à montrer sa dextérité dans le vol (cauryanandi raudra dhyāna),

d) penser avec plaisir à satisfaire ses désirs, comme être possessif, et à se battre, avec férocité pour atteindre des objets convoités (visayanandi raudra dhyāna).

Les deux dernières méditations ci-dessus nous dégradent spirituellement en attirant de mauvaises vibrations et de mauvais karmas. La plupart d'entre nous restons engagés, de façon permanente, dans celles-ci, ce qui fait que nous ne pouvons faire aucun progrès spirituel.

Les deux méditations qui suivent sont d'une valeur supérieure. Elles nous aident à progresser sur la voie de la libération.

La méditation sur le dharma (dharma dhyāna). Le mot dharma est utilisé dans la terminologie jaïne, dans un sens plus large que religion. Qu'est-ce que le dharma ? La réponse est la suivante vatthu sahavo dhammo à ce qui signifie : la nature intrinsèque d'une chose, c'est le dharma. Aussi longtemps qu'une chose reste dans les limites de sa nature intrinsèque et ne transgresse pas ces limites, elle est dans son dharma. Les problèmes de la vie surviennent lorsque nous transgressons ces limites et lorsque nous nous empêtrons dans des domaines étrangers. C'est pourquoi, quand le soi oublie sa nature intrinsèque et essaye de s'empêtrer dans le domaine de l'ajiva, il va au devant d'ennuis. Par contre, s'il concentre son attention sur son soi propre, s'il essaye d'analyser sa nature et s'il centre ses activités sur son élévation, il entre dans le champ du dharma dhyāna.

On distingue quatre sous-classifications dans cette sorte de méditation :

a) celle sur la nature immuable et sérieuse des vues exprimées par les âmes éclairées (ajna vicaya dharma dhyāna),

b) celle sur les raisons de l'obscurcissement de la vraie nature du soi au contact des passions, telles que la colère, l'orgueil, etc. (apaya vicaya dharma dhyāna),

c) celle sur la nature des résultats des différents karmas (vipaka vicaya dharma dhyāna),

d) celle sur la nature de l'univers (loka samsthana vicaya dharma dhyāna).

La méditation sur le dharma éloigne notre esprit de celles, douloureuses et cruelles, qui sont la cause d'accumulation de karmas et qui dégradent les forces du soi. Le dharma dhyāna nous conduit sur le chemin de la métaphysique et de la logique, mais il constitue la meilleure sainte compagnie (satsanga) pour nous diriger sur la voie juste pour comprendre la Vérité

La méditation pure (shukla dhyāna). Le mot shukla signifie blanc ou pur. Dans le dharma dhyāna, l'esprit se concentre sur les traits généraux de l'existence en ce monde, dans le shukla dhyāna il réduit graduellement le domaine de la méditation. Il se concentre sur l'atome et devient calme et immobile. En atteignant l'omniscience, les fonctions de l'esprit sont complètement annihilées.

On distingue quatre sortes de shukla dhyāna. La fonction des deux premières est de rassembler et de concentrer l'esprit sur la plus petite entité possible. Lorsque l'on a atteint la perfection en cela et que l'on a perdu tous les attraits pour les choses du monde, on arrive à l'illumination pure et parfaite. Alors, les fonctions de l'esprit n'existent plus. Il n'y a plus, désormais, de pensée conceptuelle. La fonction de la méditation, à ce moment-là n'est plus de concentrer la pensée, car il n'y a plus de pensée. L'âme est maintenant omnisciente. La méditation est alors utilisée pour arrêter les activités de la parole et du corps. Les deux dernières sortes de shukla dhyānas font cela. La dernière est immédiatement suivie de la libération.

C'est la méditation la plus haute où les liens karmiques sont détruits et où l'âme reste totalement occupée à la réalisation de soi. Les Prophètes disent qu'il n'est pas possible de donner une image parfaite de cette méditation, parce que la béatitude que l'on éprouve durant celle-ci dépasse toute description. Toutefois, ils ont classé ce type de méditation en quatre catégories progressives :

a) celle de la considération de la diversité (prithaktva vitarka savicara shukla dhyāna) où l'esprit contemple les différents modes du soi et les forces de la matière. La pensée va d'une idée à l'autre, dans ce cas. Durant ce processus, on découvre le vrai caractère de soi et par conséquent on vise à calmer sa pensée. Ce niveau de méditation est observé quand l'âme est dans les étapes 8 à 11 du développement spirituel (gunasthāna). Une fois calmée, la pensée se concentre uniquement sur un objet, le soi,

b) celle de la considération de l'unité (ekatva vitarka vicara shukla dhyāna) où l'esprit devenu calme bénéficie d'une paix et d'une béatitude parfaites, car tous les liens des passions sont détruits. Il jouit alors de la connaissance pure (kevala jnāna). A ce niveau, l'âme parvient au 12ème gunasthana et atteint, à la fin, le 13ème,

c) celle du maintien de l'activité subtile (sūksma-kriya pratipāti shukla dhyāna) où l'âme n'a plus qu'un lien très fin avec le corps. C'est le commencement du 14ème gunasthana,

d) celle de la destruction complète de l'activité (vyuparata kryā nivritti shukla dhyāna) où tout lien avec le corps est coupé. A la fin de cette période, l'âme est libérée et devient Siddha. Elle a une existence sans corps et une connaissance et une béatitude totales. La durée des étapes c) et d) est très courte. Juste le temps de dire a, e, i, o, u.

Voilà comment les grands maîtres ont décrit le processus de la méditation qui conduit à la libération ! Un être humain ordinaire erre entre les trois premières catégories. La dernière est très difficile à réaliser, car elle nécessite de franchir les étapes du progrès spirituel. Mais, si l'on y parvient, la libération est atteinte.

Chapitre 12
Rituels et festivals

Le Jaïnisme possède une riche panoplie de rites et de fêtes. Il est important de rappeler que ce ne sont pas des spectacles vides de sens mais qu'ils ont une signification importante, tant pour ceux qui y participent que pour ceux qui les voient.

A) Les rites.

Les rites doivent imprimer pour toujours les principes religieux dans l'esprit des gens. Beaucoup d'évènements, comme la vie de Mahāvīra, sont fréquemment représentés sous une forme symbolique et les symboles, les actions, les paroles et les images sont réunis pour apporter son message aux fidèles. Pour beaucoup de personnes, à qui les aspects les plus complexes de la philosophie religieuse sont un livre fermé, les rites donnent une direction, une convergence, pour l'expression de la dévotion envers les Tirthankara. La vénération avec la méditation profonde et les pensées sans violence et sans malice chassent les karmas de l'âme.

Les rites sont reliés à la vie quotidienne du Jaïn pieux. En répandant, le matin, le grain pour les oiseaux, en filtrant l'eau ou en la faisant bouillir pour son utilisation dans quelques heures, il effectue des actes rituels de charité et de non-violence. La pratique de l'équanimité (sāmāyika), de la méditation, est un acte rituel réalisé le matin, et peut-être aussi à midi et la nuit. Il dure quarante-huit minutes (deux ghadis, unité de temps indienne correspondant à la trentière partie d'une journée) et il comporte, habituellement, non seulement un recueillement tranquille mais encore la répétition de prières d'usage pour la circonstance. Le recensement et la demande de pardon des péchés (pratikramana) doivent aussi être pratiqués le matin, pour la violence commise pendant la nuit, le soir pour celles de la journée et certains jours dans l'année. A cette occasion, le Jaïn exprime son remords pour le mal qu'il a causé pour ses mauvaises actions ou pour les devoirs qu'il n'a pas faits.

La vénération devant les statues des Jina, en s'inclinant pour les saluer avec respect et en allumant des lampes devant elles, est une façon idéale de commencer la journée pour beaucoup de Jaïns. Des formes plus élaborées de vénération (pūjā) constituent des rites, régulièrement journaliers, effectués dans le temple. Le fidèle entre dans le sanctuaire en disant Namo Jinanam ! (Je m'incline avec respect devant le Jina !) et en répétant trois fois Nisihi pour abandonner toutes les pensées concernant les affaires du monde. Les rondes plus simples autour de la chapelle de la maison peuvent aussi former un cadre convenable. Les membres de certaines sections jaïnes ne pratiquent pas la vénération des statues des Jina. Ils préfèrent la méditation et les prières silencieuses.

Le culte (pūjā) peut prendre différentes formes. Le bain rituel de la statue (snatra pūjā) est le symbole de celui que font les dieux (les êtres célestes) au Tirthankara lors de sa naissance. Un acte symbolique simple consiste à se toucher le front avec le liquide utilisé pour le bain de la statue. Ce bain a lieu aussi lors de la panca kalyanaka pūjā rite qui commémore les cinq grands événements favorables de la vie du Tirthankara que sont : sa conception, sa naissance, son renoncement, son omniscience et sa libération. L'antaraya karma pūjā comporte une série de prières pour effacer les karmas qui font obstacle au pouvoir qu'a l'âme de s'élever spirituellement. Pour compléter, un long rite dans le temple peut durer trois jours ; il s'agit de l'Arihanta pūjā pour manifester son respect aux Arhats. Il y a aussi un rite de prières centrées sur le Siddhacakra qui est un disque, en forme de lotus, comportant les représentations de l'Arhat, de l'âme libérée, du précepteur, du maître religieux, et du moine (les cinq êtres dignes de louanges) avec les quatre qualités que sont : la perception, la connaissance, la conduite et l'austérité pour élever l'âme.

On doit dire qu'il y a une faible ligne de partage entre le symbolisme et la superstition. Certains, se disant rationalistes, rejettent tous les actes rituels comme superstitieux. C'est une grande méprise. Les statues du Jina n'ont pas de pouvoirs miraculeux, mais la splendeur du temple, la beauté des paroles et des chants, tout aide le fidèle à avoir un état d'esprit respectueux. Certains peuvent pratiquer sans ces supports extérieurs, mais ils ne doivent pas mépriser ceux qui les apprécient.

B) Les fêtes.

Le calendrier solaire (européen) est généralement utilisé en Inde, pour les questions de travail ou de politique. Par contre, le calendrier lunaire (indien) est habituellement employé pour les fêtes religieuses. Ce calendrier est très simple, mais il est basé sur les phases de la lune et ses dates ne sont pas toujours les mêmes, d'une année sur l'autre, comme dans le calendrier solaire.

Les Jaïns laïques sérieux jeûnent, plus ou moins complètement, et s'adonnent à d'autres pratiques religieuses, certains jours de fêtes, tout le long de l'année. Les Jaïns pieux vont jusqu'à jeûner dix jours dans un mois donné (d'autres peuvent le faire pendant un temps plus court). Le premier jour des trois saisons de l'année indienne a aussi un caractère sacré spécial. Deux fois l'an, en mars/avril et en septembre/octobre, il y a la période de neuf jours d'Oli qui comporte un demi-jeûne avec un seul repas par jour de nourriture complète. Maunagiyaras en novembre/décembre, est un jour de silence et de jeûne complets, avec des méditations sur les cinq êtres sacrés que sont : le moine, le précepteur, le maître religieux, l'Arhat et le Siddha. Ce jour est considéré comme l'anniversaire de la naissance de beaucoup de Tirthankara.

Mahāvīra est né probablement en 599 avant J.C. La date exacte est donnée dans les écritures comme le treizième jour de la moitié brillante (croissante) de la lune du mois de caitria. Dans le calendrier solaire, cela tombe en mars ou en avril. Pour commémorer l'événement, la fête est appelée Mahāvīra Jayanti. C'est l'occasion d'une grande célébration. Les Jaïns se rassemblent pour entendre l'exposé de son message, afin de suivre ses enseignements et son exemple. Les rôles de sa mère, avant sa naissance, peuvent être représentées et les circonstances de sa venue au monde, telles que racontées dans les écritures saintes, être expliquées aux fidèles assemblés. La statue de Mahāvīra est cérémonieusement baignée et balancée dans un berceau. Dans de nombreux endroits, la procession a lieu dans les rues, avec sa statue à la place d'honneur. Dans certaines régions de l'Inde, c'est un jour férié général.

Paryusanā Parva est, pour tous les Jaïns, la fête la plus importante. Il s'agit d'une période de huit jours pendant lesquels les fidèles jeûnent et pratiquent des activités religieuses. Elle tombe durant les mois de shrāvana et de bhādra (ou septembre). Pendant la mousson, en Inde, les ascètes Jaïns arrêtent de marcher d'une ville à une autre. Ils restent dans un lieu fixe, afin de réduire le mal qui est fait aux êtres vivants qui pullulent à ce moment-là. Souvent, durant cette période, un village invite les moines respectés à séjourner sur son territoire, (quelquefois avec une belle invitation manuscrite) et ses habitants les reçoivent, de façon rituelle, en grande pompe. Une série de conférences et de sermons, effectués par un moine ou par une autre personne respectée, est un trait particulier de cette fête.

Le terme Paryusanā est dérivé de deux mots signifiant : un an et un retour. C'est une période de repentir des mauvaises actions de l'année et de pénitences pour aider à effacer les karmas accumulés. Il faut se rappeler que les pénitences ne sont pas seulement destinées à effacer les karmas mais encore à contrôler le désir de plaisirs sensuels, qui est une partie de l'entrainement spirituel à éviter l'accumulation de nouveaux karmas. Durant cette période, certains fidèles jeûnent pendant huit jours, d'autres moins (un minimum de trois jours est suggéré par les saintes écritures), mais il est obligatoire de le faire le dernier jour. Le jeûne comporte normalement l'abstinence de toute nourriture et de toute boisson, mais certains prennent de l'eau bouillie dans la journée.

Pendant cette fête, il y a des cérémonies régulières dans le temple et des discours sur le Kalpā Sūtra (l'un des livres sacrés) dans l'upāshraya. Le Kālpa Sūtra qui contient le récit détaillé de la vie de Mahāvīra, est lu à l'assemblée des fidèles. Le troisième jour de Paryusanā Parva une vénération toute spéciale est faite à ce livre sacré qui est souvent porté en procession. Le cinquième jour, les rôles favorables qu'a faits la mère de Mahāvīra, la reine Trishala, font l'objet de représentations théâtrales. Durant cette période, les fidèles écoutent la lecture du Kalpa Sūtra, effectuent des démarches pour éviter l'abattage d'animaux, demandent pardon, manifestent leur propre pardon à tous les êtres vivants, visitent les temples alentours, et procèdent à d'autres activités religieuses.

Le dernier jour de Paryusanā est le plus important de tous. Ceux qui ont observé les jeûnes sont particulièrement honorés. C'est aussi ce jour-là que les Jaïns demandent pardon, à leur famille, à leurs amis et à leurs ennemis, des mauvaises actions qu'ils auraient pu commettre, à leur égard, durant l'année écoulée. C'est la raison pour laquelle cette journée annuelle de repentir et de pardon compte particulièrement.

Peu après Paryusanā, il est de tradition d'organiser un dîner dit Swami vastyalaya auquel les Jaïns prennent part et se renouvellent leur amitié les uns envers les autres, sans considération de statut socio-économique.

Dīwalī ou Dīpāwalī est la fête la plus importante de l'Inde. Pour les Jaïns, elle commémore l'anniversaire de la libération de Mahāvīra, qui a eu lieu en 527 avant J.C (et aussi l'atteinte de l'omniscience par son principal disciple Gautama Indrabhuti). Cette fête tombe le dernier jour du mois d'ashvina, qui est la fin de l'année dans le calendrier indien (en octobre ou novembre). La célébration commence tôt, le matin du jour précédent, car c'est alors que Mahāvīra a fait son dernier sermon qui a duré jusque tard dans la nuit. On dit que les dix-huit rois de l'Inde du nord, qui faisaient partie de son auditoire, décidèrent que la lumière de la connaissance de leur maître serait symboliquement conservé en allumant des lampes. C'est pourquoi cette fête est appelée Dīpāwalī (le mot dīpā signifiant lampe) ou Dīwalī en abrégé

Le Nouvel An, qui commence le jour suivant, est l'occasion de joyeux rassemblements des Jaïns, au cours desquels chacun se souhaite une joyeuse nouvelle année.

Le cinquième jour du Nouvel An, c'est la fête dite Jnāna Pancami ou jour de la connaissance, au cours duquel les écritures saintes, qui apportent la savoir aux gens, sont vénérées avec dévotion.

Terminons ce chapitre par la prière jaïne du pardon. Les adeptes ne cherchent pas le pardon d'un dieu tout puissant mais des êtres vivants à qui ils ont pu faire du mal.

Je pardonne tous les êtres vivants, (Khāmemi sawajīve)

Que tous les êtres vivants me pardonnent ! (Savve jīvā khamantu me)

Tous dans le monde sont mes amis, (Metti me savvabhūesu)

Je n'ai pas d'ennemis ! (Veram majjha na kenavi).

Chapitre 13
Pratikramana

Dans son état pur, l'âme a une perception infinie, une connaissance infinie, un pouvoir infini et elle est dénuée d'attachement. Ces qualités ne se constatent pas dans les âmes terrestres parce qu'elles sont souillées par les karmas. En suivant les principes religieux, et en ayant des activités pieuses, nous effaçons nos karmas et nous élevons nos âmes jusqu'à la libération.

On distingue plusieurs sortes d'activités religieuses, quelquefois appelées des rites, et parmi elles, le « pratikramana », qui est l'un des rites jaïns les plus importants. Durant celui-ci, nous nous repentons de nos activités mauvaises sur un plan quotidien, nous nous rendons compte de nos fautes et nous en demandons pardon, ce qui nous aide à diminuer l'intensité du karma et à nous libérer de l'asservissement qu'il provoque.

Le « pratikramana » est l'association des six rites essentiels que sont : l'état d'égalité de l'âme ou équanimité, la vénération des vingt-quatre Tirthankara, les salutations respectueuses aux moines et aux nonnes, le recensement de ce que nous avons fait de mal et son annotation, la méditation et le renoncement.

1) L'état d'équanimité de l'âme (sāmāyika).

Dans le « sāmāyika », nous restons dans un état d'âme égal. Pendant quarante-huit minutes, nous abandonnons tous nos soucis terrestres, tout attachement et toute haine. Cette manière d'être nous aide à apaiser nos passions et nos désirs. Pour être prêts pour ce rite (dans la tradition shvetāmbara) nous mettons des vêtements blancs, simples et propres, et nous cherchons un endroit tranquille. Nous commençons par réciter le « Navakar Mantra », puis nous lisons des passages des saintes écritures, nous méditons, etc. Cela nous donne un aperçu de la vie des ascètes qui vivent, leur vie entière, dans l'équanimité et nous encourage directement à nous orienter vers la vie de moine (sādhu) ou de nonne (sādhvī).

2) La louange des vingt-quatre Tirthankara (caturvimshatistava ou chauvisantho).

Dans ce rite, nous manifestons notre respect pour les vingt-quatre Tirthankara. En faisant leurs louanges, nous nous remémorons que ces Jina ont été victorieux en combattant leurs ennemis intérieurs, comme la colère, l'ego, la cupidité, la tromperie, etc. et cela nous encourage à faire comme eux.

3) Les salutations respectueuses (vandana).

Maintenant, nous nous inclinons devant les moines et les nonnes et nous leur manifestons notre respect. Ce sont nos guides religieux et nos précepteurs actuels. En nous inclinant ainsi, nous devenons humbles, ce qui nous aide à vaincre l'ego et la colère et nous inspire à devenir comme eux. (S'il n'y a pas de moine ou de nonne présents, nous nous inclinons en direction du Nord-Est vers les Arhats qui sont actuellement très loin d'ici).

4) Le recensement de nos activités blâmables et notre demande de pardon (pratikramana).

Le mot « pratikramana » est composé de deux termes : « pra » qui signifie revue et « atikramana » qui veut dire violation. Littéralement, cela exprime une revue de nos violations. En tant que Jaïns laïcs, nous sommes supposés observer les douze vœux pour minorer la violence envers les autres êtres vivants qui, à leur tour, minorent le dommage à nos âmes. Durant le « pratikramana », nous passons en revue nos activités afin de recenser les violations que nous avons faites à ces vœux. Ensuite, nous demandons pardon pour ces actions, nous purifions nos âmes et nous améliorons nos activités futures. Si nous n'avons pas fait de vœux, nous devons souhaiter pouvoir les faire un jour.

Le « pratikramana » se pratique ordinairement deux fois par jour, une fois le matin, c'est le « raisi pratikramana » (de raisi : matin), pour nous repentir des choses blâmables que nous avons pu commettre durant la nuit, et une fois le soir, c'est le « devasi pratikramana » (de devasi : soir), pour nous repentir des choses blâmables que nous avons pu commettre durant la journée.

Ceux qui ne peuvent pas réaliser le « pratikramana » quotidien doivent le faire tous les quinze jours, c'est le « pakshika pratikramana » (de « pakshika » : la quinzaine). Il y en a un certain nombre qui ne trouvent pas le temps d'effectuer le « pakshika pratikramana », ils doivent alors le faire tous les quatre mois, c'est le « chumasi pratikramana » (de « chumasi » : quatre mois). Si certains ne peuvent pas réaliser le « chumasi pratikramana », ils doivent au moins faire, une fois par an, c'est le « samvatsari pratikramana » (de « samvatsari » : annuel). Ce « samvatsari pratikramana » est considéré comme une obligation pour chaque Jaïn.

En nous repentant, durant ce rite, nous diminuons l'asservissement de notre âme par le karma et nous évitons de commettre les mêmes péchés à l'avenir. Si nous ne nous repentons pas de nos mauvaises activités une fois par an, l'asservissement de notre âme devient sévère et même plus difficile à effacer. En réalité, on doit faire le « pratikramana » dès que l'on réalise que l'on a commis un péché.

5) Le renoncement au corps (kāyotsarga).

Le mot kāyotsarga est composé de deux termes : « kāya » qui signifie : corps et « utsarga » qui veut dire : abandon. Ce rite consiste à abandonner son confort physique et ses mouvements, en se tenant immobile, soit debout, soit dans une autre posture, en nous concentrant sur la véritable nature de notre âme, qui est distincte de notre corps, en récitant le « Navakar Mantra » ou en faisant le « chauvisantho ». C'est une forme de méditation. En pratiquant bien le « kāyotsarga », nous parvenons, petit à petit, à contrôler nos activités mentales, verbales et physiques.

6) Le renoncement (pratyākhyāna).

C'est le renoncement formel à certaines activités, qui réduit ou qui arrête l'influx des karmas. Il nous aide à apprendre à contrôler nos désirs et nous prépare au très grand renoncement.

Ainsi, le « pratikramana » aide à nous contrôler, rend hommage à ceux qui ont fait du bon travail et nous dirige sur leurs voies.

Chapitre 14
Sallekhanā

Par le juge T.K. Tukol

Pratiquer le sallekhanā c'est, pour les laïcs et les ascètes, mourir volontairement lorsqu'ils voient que la fin de leur vie est très proche, en raison d'un grand âge, d'une maladie incurable, d'une grande famine, de l'attaque d'un ennemi ou d'un animal sauvage, etc. A ce moment-là, on vainc toutes les passions et on abandonne tous les attachements terrestres en observant des austérités comme l'abstention graduelle de nourriture et d'eau et en méditant simultanément sur la vraie nature de Soi jusqu'à ce que l'âme quitte le corps. Une estimation approximative du temps restant à vivre est nécessaire afin d'adapter la nature du jeûne. Le pratiquant doit supporter toutes les souffrances mais, s'il tombe malade ou si pour une raison quelconque il ne peut maintenir la paix de son esprit, il doit abandonner ce rite, s'alimenter à nouveau et reprendre ses activités.

Décider de pratiquer le sallekhanā constitue un vœu très spécial. Le principe qui est derrière celui-ci c'est qu'une personne qui abandonne ainsi son corps, avec la paix complète de son esprit, le calme et la patience, sans aucune crainte de la mort, non seulement, évite l'afflux de nouveaux karmas, mais encore, se purge des anciens agglutinés à son âme.

Le sallekhanā est aussi connu sous d'autres noms tels que samnyasa-marana, samādhi-marana, etc.

Le laïc qui accepte de faire ce vœu avec un esprit pur abandonne l'amitié, l'inimitié et la possessivité. Il doit oublier ses parents, ses compagnons, ses serviteurs, ses connaissances et leur demander pardon de tous ses actes passés déplaisants envers eux. Il lui faut se confesser honnêtement à son précepteur de tous les péchés qu'il a commis ou qu'il a demandé à d'autres de commettre ou qu'il a encouragé d'autres à commettre. Pendant la durée de ce vœu il doit absolument ôter de son esprit tout chagrin, toute peur, tout regret, toute affection, toute haine, tout préjudice, toute passion, etc.

Au début, il doit renoncer graduellement à la nourriture et ne prendre que des liquides. Puis, il lui faut abandonner les liquides, ne boire que de l'eau bouillie et jeûner suivant sa capacité. Il doit aussi renoncer aux passions et aux faiblesses mentales. Il lui faut rester plongé dans la méditation sans faire attention à son corps. Il doit aussi éviter les cinq transgressions qui sont : 1) souhaiter que sa mort survienne un peu plus tard, 2) espérer une mort plus rapide, 3) entretenir la peur de savoir comment il affrontera la mort, 4) se souvenir de ses amis et de ses parents au moment de sa mort et 5) penser qu'une récompense est assurée comme résultat de ce vœu.

Il est prescrit que, pour pratiquer ce vœu avec succès, un ascète ou un laïc doit choisir un endroit où le gouvernement n'est pas opposé à sa concrétisation et où les gens comprennent et respectent une telle décision. Cela est une précaution contre les dérangements ou les oppositions de toutes sortes durant l'observance de ce vœu. Cette précaution est nécessaire pour assurer la paix extérieure et la tranquillité intérieure.

Il existe des directives claires et bien définies contre l'adoption du vœu de sallekhanā sans réaliser que la mort est très proche ou imminente. Un exemple classique est celui de l'Ācaryā Samantabhadra lui-même. Il désirait faire ce vœu en raison de l'impossibilité de vivre en accord avec les restrictions religieuses dont il souffrait à cause d'une maladie incurable appelée bhasmaroga. Il alla voir son précepteur pour obtenir sa permission. Celui-ci, avec sa connaissance intuitive, comprit qu'il allait encore vivre longtemps et qu'il avait la possibilité d'effectuer une contribution très remarquable à la littérature jaïne. Par conséquent, il refusa l'autorisation.

Beaucoup, cependant, confondent le sallekhanā avec le suicide, car le mot suicide recouvre toutes les morts que l'on se donne. Le suicide consiste à se tuer par des moyens employés par soi-même. Le mot correspondant pour le suicide est en sanscrit « atmaghata » ou « atmahatya » (auto-destruction). C'est normalement un malheur que l'on se fait. Son auteur est soit la victime de la faiblesse de son esprit ou de circonstances extérieures qu'il n'est pas capable de surmonter. A notre époque, les forces mentales et morales se sont rapidement détériorées individuellement ou dans tout groupe social. Notre civilisation a entraîné beaucoup de problèmes psychologiques et sociaux que seuls les individus ayant de la force de caractère peuvent surmonter. Les déceptions et les frustrations dans la vie personnelle, l'échec émotionnel et sentimental dans la vie conjugale ou dans les affaires de cœur, les pertes économiques inattendues et insupportables dans le commerce et les affaires, le chagrin brutal et déchirant dû à la mort d'un être le plus proche et le plus cher, l'apparition de maladies incurables ou socialement répréhensibles, le développement soudain d'une dépression, la disgrâce ou le déshonneur publics de soi ou de sa famille, un choc inattendu causé par l ‘échec à satisfaire une ambition et beaucoup d'autres facteurs inhabituels peuvent être considérés, individuellement ou cumulativement, comme des causes qui conduisent un individu à se suicider sous l'effet d'une impulsion soudaine. Les fréquentes répétitions de situations qui provoquent des sentiments de déception, de dépression, des conflits émotionnels et mentaux entraînent irrésistiblement la victime à franchir le pas horrible du suicide.

Dans le sallekhanā, on ne trouve aucun des caractères psychologiques ou sociologiques ci-dessus, que ce soit dans l'adoption du vœu ou dans sa concrétisation. De même, il y a de grandes différences dans l'intention, les situations, les moyens adoptés et l'issue de l'acte ou ses conséquences.

L'unique intention de la personne, en faisant ce vœu, est spirituelle et absolument pas matérielle. Son adoption est précédée de la purification de sa pensée en pratiquant, pendant quelques années, la victoire sur les passions. La personne en question désire être délivrée de l'asservissement du karma, qui a été responsable de tous ses maux dans ce monde et du cycle de ses renaissances dans différents états (gatis). Contrairement à l'intention suicidaire, il n'y a pas de désir de mettre rapidement fin à sa vie par des moyens violents ou désagréables. Il n'est pas question d'échapper à une honte quelconque, à une frustration ou à un choc émotionnel. Il n'y a pas d'intention de se faire du mal à soi-même ou à un membre de sa famille. Les cas dans lesquels ce vœu peut être fait sont bien définis et uniquement avec la permission du maître spirituel (guru).

Quels sont les moyens adoptés pour l'accomplissement de ce vœu ? Il n'y en a pas de violents comme la pendaison, le poison, les coups de poignard, la noyade en eau profonde ou le saut dans le vide. Il faut jeûner, suivant des principes bien définis, en augmentant le nombre de jours et en passant de la nourriture solide aux liquides jusqu'à renoncer à boire même de l'eau. Il faut passer son temps à lire ou à écouter les écritures, à méditer, à faire de l'introspection. Les ascètes et les laïcs instruits peuvent consacrer une partie de leur temps à prêcher la religion aux fidèles qui sont présents. Il ne faut ni hâter ni retarder la mort. Il convient qu'elle arrive de façon naturelle en étant absorbé dans une méditation profonde avec un détachement complet et une grande concentration intérieure.

La conséquence de la mort par sallekhanā n'est ni blessante, ni douloureuse, parce qu'avant de faire ce vœu toutes les attaches ont été rompues avec l'accord de tous. Sa conséquence immédiate c'est de provoquer respect et foi dans la religion. L'atmosphère autour et sur le corps du mort fait partie des bonnes vénérations. Il n'y a ni chagrin, ni deuil. La circonstance est traitée comme une fête religieuse, avec des pujas, des bhajans et la récitation de mantras. Il n'y a pas de place pour la tristesse mais pour la joie. Beaucoup admirent les hauteurs spirituelles atteintes par le défunt, la calme et la paix avec lesquels il a affronté la mort, l'inspiration et la dévotion que ce grand événement a éveillées.

Certains auteurs occidentaux ont affirmé que le sallekhanā était un suicide par privation de nourriture et de boisson. Le juge Tulok pense qu' « ils sont nés et ont grandi sous la philosophie religieuse qui parle du monde comme étant la création de Dieu et que la mort par le jeûne, bien qu'en accord avec les principes d'une ancienne philosophie religieuse qui ne reconnaît aucun Dieu-créateur, est une autodestruction contre la volonté de Dieu. Ils semblent ne pas avoir fait attention aux divers points de différence entre le sallekhanā et le suicide ».

Ainsi, il n'y a rien de commun entre un suicide et un sallekhanā, excepté que, dans les deux cas, il y a la mort. Dans le cas du suicide, celle-ci est produite par des moyens choquants, parce que du mal est fait à son propre corps, à ses intérêts et aux sentiments de ses parents et de ses amis. Dans le cas du sallekhanā, elle est embrassée de façon très pacifique et tranquille, en maintenant, tout au long, la paix de l'esprit de chaque personne concernée.

Il est impossible que n'importe qui adopte ce vœu, parce qu'il exige que le pratiquant ait la conviction inébranlable que le corps et l'âme sont séparés. De plus, il est fait par une personne qui a purifié son corps par l'austérité , le repentir et le pardon, qui s'est libérée elle-même de toutes les passions et afflictions, qui a cessé d'avoir le moindre attachement pour ses amis et ses parents et qui accueille la mort avec joie et tranquillité.

Chapitre 15
Anekāntavāda

Suivant la métaphysique jaïne, la réalité est constituée d'innombrables substances matérielles et spirituelles dont chacune est dotée d'innombrables qualités. De plus, chaque qualité est susceptible de subir des modifications infinies. En clair, la connaissance ordinaire (non-omnisciente) ne peut pas appréhender cette réalité complexe car elle est réduite, non seulement par le pouvoir limité des sens et de la raison, mais encore, par les points de vue de la connaissance, qu'il s'agisse de l'espace, du temps, de la lumière, etc.

Reconnaissant la nature incroyablement riche et compliquée de la réalité, les Jaïns ont mis au point le concept des aspects multiples (ankānta) de l'existence, par réaction aux affirmations de leurs opposants selon lesquels le Brahman seul, parce qu'il est permanent et immuable est finalement et absolument réel ou, comme le soutiennent les Bouddhistes, parce que rien n'est permanent, le processus du changement étant la seule réalité. Ce concept de l'existence aux multiples aspects a permis aux penseurs jaïns d'affirmer, à la fois, la permanence et le changement. Ce que sont les choses dans leur substance, en tant que substances, est permanent, mais leurs formes ou leurs modes changent continuellement.

Faisant ressortir les limites de la connaissance ordinaire, les Jaïns ont mis au point la théorie selon laquelle la vérité est relative selon la perspective (naya) à partir de laquelle elle est connue. En outre, comme la réalité a de multiples aspects et comme la connaissance n'est vraie que dans une perspective étroite, toutes les déclarations de connaissance sont relatives (syat) ayant la forme « X » peut-être « Y » plutôt que « X est Y ».

Les perspectives limitées. Les limitations de la connaissance sont illustrées par une histoire populaire jaïne concernant cinq aveugles et un éléphant. Un roi fit venir cinq aveugles dans sa cour où il avait attaché un gros éléphant et il leur demanda de lui dire ce que c'était. Chacun des hommes toucha l ‘animal et, sur la base de ses perceptions, dit au roi qu'il savait ce que c'était. Le premier toucha la trompe et déclara que c'était un énorme serpent. Le second toucha la queue et affirma que c'était une corde. Le troisième palpa la jambe et dit que c'était le tronc d'un arbre. Le quatrième toucha une oreille et déclara qu'il s'agissait d'un éventail de vannage. Le cinquième toucha le côté est dit que c'était un mur. Comme chacun prétendait que ce qu'il avait dit était vrai et qu'il avait bien décrit l'objet en question, les cinq hommes commencèrent à s'échauffer, incapables de s'entendre, parce qu'ils refusaient d'admettre que chacune de leurs affirmations n'était vraie que dans une perspective limitée.

Comme les aveugles, chaque personne ne perçoit les choses que suivant sa perception propre. Celles-ci sont déterminées par de nombreux facteurs qui incluent le conditionnement socioculturel, le lieu particulier, le temps, la lumière, les espoirs, les craintes qui dépendent naturellement de la limitation de nos perceptions sensorielles et de notre aptitude à raisonner. Une personne qui cherche le profit voit tout en termes de profits et de pertes, une personne qui a peur voit des menaces partout et une personne qui croit en Dieu voit toute chose comme la création bénie de celui-ci.

Lorsque l'on a compris que la connaissance est limitée par les perspectives à partir desquelles elle est réalisée, il est facile de voir que ce que l'on affirme est conditionné par ce que l'on présume et que l'on doit toujours l'exprimer comme seulement une tentative de vérité, exactement comme ces aveugles, qui auraient dû être plus circonspects, en disant, par exemple « Là où je suis, sentant l'objet avec mes mains, il me semble qu'il s'agit d'un éventail à vannage. C'est, peut-être, un éventail a vannage ! ». Ainsi, chacun doit comprendre que ses déclarations, en matière de connaissance, ne devraient être exprimées qu'avec des réserves.

Les prédicats sous certaines conditions. En analysant la logique de l'affirmation avec des réserves, les Jaïns en sont arrivés au schéma septuple pour affirmer une vérité sur un objet particulier. Par exemple, les affirmations suivantes sont possibles pour exprimer, avec prudence, la température d'un verre d'eau :

  1. Il peut être chaud (pour quelqu'un qui vient du froid),
  2. Il peut être froid (pour quelqu'un qui vient d'une salle très chaude),
  3. Il peut être, à la fois, chaud et froid, suivant les conditions,
  4. Indépendamment de toutes les conditions, l'eau est indescriptible (toute connaissance dépend de diverses conditions),
  5. Indescriptible en elle-même, on peut dire que l'eau est chaude, étant sujette à diverses conditions (une combinaison du 1 et du 4),
  6. Indescriptible en elle-même, on peut dire que l'eau n'est pas chaude, étant sujette à diverses conditions (une combinaison du 2 et du 4),
  7. Indescriptible en elle-même, on peut dire que l'eau est chaude et pas chaude, suivant certaines conditions (une combinaison du 3 et du 4).

La raison pour laquelle les trois dernières affirmations commencent toutes par « Indescriptible en elle-même » c'est que toute substance connue et décrite a un nombre infini de qualités et que chacune d'elles possède, aussi, un nombre infini de modifications. Bien que la connaissance ordinaire révèle quelques-unes de ces qualités et de ces modifications, elle ne peut pas le faire de toutes. Ainsi, toutes les descriptions de la réalité ne sont que partielles. La substance elle-même, avec ses qualités et ses modifications infinies, ne peut être totalement connue que lorsque l'on est venu à bout de toutes les limitations de la connaissance.

Le schéma septuple de l'affirmation sous certaines réserves nous oblige à reconnaître la nature partielle et incomplète de la connaissance humaine ordinaire. C'est une première étape importante, pour triompher des passions, parce que le désir, la haine, l'orgueil, la colère et l'avidité proviennent d'une compréhension partielle des choses dogmatiquement présumées être toute la vérité. Combien de fois avons-nous compris de façon gênante le caractère peu convenable de notre colère, de notre jalousie, de notre orgueil ou de notre cupidité, lorsque nous avons vu « l'image complète » ? L'avidité d'argent disparaît, lorsque l'on a compris qu'il ne peut pas acheter la santé, les amis ou le bonheur. L'orgueil excessif cède la place à l'humilité, quand il nous arrive d'apprécier les prodigieuses qualités et les merveilleuses réalisations des autres. La colère et la haine disparaissent, lorsque nous comprenons que les autres objets, situations ou personnes ne sont pas une menace pour nous. Sachant que la connaissance, à partir de laquelle les passions destructrices apparaissent, est partielle, nous sommes encouragés à nous contrôler pour augmenter notre compréhension.

La vue qui réveille. En comprenant la nature partielle de la connaissance ordinaire, les Jaïns apprécient mieux celle des Réalisateurs du gué (des Tirthankaras). Cela encourage notre foi dans leurs enseignements et motive nos efforts pour imiter leurs vies, dans l'espoir d'atteindre une omniscience, une pureté et une félicité semblables. A son tour, cela éveille une aspiration profonde à une vraie perspicacité et à une vraie connaissance qui peuvent servir de catalyseur pour activer l'inclination naturelle de l'âme à sa libération et diriger ses énergies vers la récupération de son omniscience.

Chapitre 16
Le progrès spirituel

On dit que l'homme est un animal social. Les humains sont toujours occupés par des questions sociales et terrestres, sans se préoccuper de savoir si cela les concerne directement ou non. Leurs ambitions et leurs désirs sont aussi élevés que le ciel. Ils passent beaucoup de temps dans les plaisirs matériels, très peu dans les activités spirituelles. Les réalisations matérialistes et scientifiques motivent plus leurs décisions et leurs actions que les convictions religieuses. Ils croient que la science matérialiste est tout et négligent la science spirituelle. Il n'y a rein de mauvais à donner à la science une telle priorité, mais il ne faut pas oublier qu'elle évolue, elle aussi, et qu'elle a ses propres limites. Elle ne peut pas expliquer tous les phénomènes qui se produisent autour de nous. Si certaines choses ne peuvent être expliquées par la science, nous devons admettre d'autres moyens de connaissance et respecter la science spirituelle qui s'est développée bien avant la science actuelle. Ce sont les Jina, les Arhats ou Tirthankaras qui ont expliqué ou répondu à toutes les questions ou à tous les phénomènes inexpliqués

Le Seigneur Mahāvīra et les autres Tirthankaras ont démontré l'efficacité du progrès spirituel, en le mettant en pratique dans leurs propres vies. Le grand moine Umasvati, aux alentours des IVe ou Ve siècle, nous l'a rappelé, dans le tout premier vers de son « Tattvartha Sūtra ». Il y écrit : « Samyagdarshanjnancharitrani mokshamargah » ce qui signifie : la foi juste (samyag darshana), la connaissance juste (samyag jnāna) et la conduite juste (samyag cāritra) sont toutes les trois nécessaires pour réaliser le progrès spirituel qui nous mènera à l'ultime libération (moksha ou nirvāna). Essayons d'en apprendre un peu plus sur ces moyens, afin que notre vision des choses et notre action puissent mieux nous conduire sur la voie spirituelle.

La foi juste (samyag darshana).

La foi juste veut dire croire aux neuf principes fondamentaux (tattvas) tels qu'ils ont été expliqués par le Jina ou Tirthankara. Ces « tattvas » sont : 1) l'être vivant (jīva), 2) les choses sans vie (ajīva), 3) les bonnes actions (punya), 4) les mauvaises actions (pāpa), 5) l'influx des karmas (āsrava), 6) l'asservissement dû aux karmas (bandha), 7) l'arrêt de l'influx des karmas (samvara), 8) l'éradication des karmas (nirjarā) et 9) la libération (moksha ou nirvāna). Certains livres sacrés parlent de sept tattvas considérant que punya et pāpa sont une partie d'āsrava.

L'âme est un être vivant, alors que le corps est, en lui-même, une chose non-vivante. Mais, à cause de la présence de l'âme et de ses activités, nous considérons, à tort, le corps comme un être vivant. Par conséquent, cela doit être clair pour nous. De même, nous devons croire au fait que l'âme et le corps sont deux entités distinctes. C'est le point de départ de notre voyage spirituel. Sachant cela, il convient de faire ce qui est bon pour notre âme plutôt que pour notre corps. Ce pas dans la bonne direction, c'est la foi juste (samyag darshana) et le commencement du processus du progrès spirituel.

Ce n'est pas facile d'atteindre la vision juste (la foi juste), en raison de l'influence du karma qui produit la fausse croyance (mithyātva mohaniya karma) et des très grandes passions (anantānubandhī kashāyas) que sont : la colère, l'ego, la tromperie et la cupidité productives de karmas. Ces karmas sont comme des copains. Le premier nous attire pour jouir de la vie dans le monde et nous pousse à faire des choses pour le confort de notre corps physique, le second nous tend la main pour nous aider à développer l'attachement à notre corps et aux choses matérielles. Nos passions jouent des rôles divers, dans notre vie, pour nous maintenir dans la jouissance du monde. De cette façon, le temps passe et, avant de comprendre la vérité, nos yeux peuvent se fermer ou nous pouvons être paralysés avant de pouvoir faire quelque chose de bon, pour notre âme. C'est pourquoi, il est absolument indispensable qu'à un certain moment nous décidions que cela a assez duré et qu'il est temps, maintenant, de faire du bien pour elle. Cette sorte de décision est la seule qui arrête le mithyātva mohaniya karma et qui met notre âme sur le siège du conducteur. C'est la raison pour laquelle la foi, la vision juste, (samyag darshana) vient en premier, dans la quête du progrès spirituel.

Certains ont la chance de posséder les marques des bons karmas de leur vie antérieure. Ils peuvent avoir automatiquement la vision juste, par leur intuition. D'autres peuvent être motivés par de bons précepteurs, des lectures spirituelles, etc.

Le processus pour acquérir le samyaktva. L'âme a erré à travers un grand nombre de vies, de différentes natures, et elle a expérimenté toutes sortes de souffrances et de félicités, par les effets de karmas variés. L'influence de ces karmas est si importante qu'elle ne peut absolument pas manifester sa véritable nature. C'est pourquoi, au lieu de vivre dans le réel, elle peut le faire dans le cadre de croyances fausses. De même que la pierre brute, emportée dans l'eau par les courants, se façonne en une belle pierre ronde, l'âme, teintée de visions fausses mais qui exerce des activités valables, comme la compassion, la charité, le pardon, devient une bonne âme. Cela ne se produit que lorsque les facteurs temps, pour tous les karmas, excepté l'ayushya karma, sont réduits à moins d'un krodakrodi sagaropam. A ce moment là, beaucoup d'âmes brisent le nœud qui les étouffe de l'attachement et de la haine sévères (anantānubandhī kashāyas) et elles atteignent la samyakatva, mais beaucoup échouent et retombent au niveau antérieur. Une fois que l'âme a brisé ce nœud, l'élévation spirituelle commence par des activité pures.

Il y a cinq sortes de samyaktva :

1) celle dûe à la suppression des passions, c'est l'aupshamika samyaktva,

2) celle dûe à la destruction des passions, c'est le kashayika samyaktva,

3) celle dûe à la suppression partielle et à la destruction partielle des passions, c'est la kashayopshamika samyaktva,

Chapitre 17
Gunasthānakas

Chaque âme interne (bhāva) peut s'élever spirituellement et atteindre la libération définitive, mais ce sont les êtres humains qui peuvent le mieux profiter de la situation adéquate. Si la condition humaine présente des avantages, elle a aussi des inconvénients. Par exemple si, en tant qu'êtres humains, nous ne faisons pas attention et si nous sommes pas opposés à l'attachement (rāga) et à la haine (dvesha), cela peut nous éloigner fortement de la libération. L'attachement et la haine sont comme deux mines sur notre route. Si nous n'y prenons pas garde, et si nous marchons dessus, elles explosent, font dérailler nos attitudes physiques, verbales ou mentales de la voie qui convient, et polluent nos âmes avec les karmas. C'est pourquoi, nous devons apprendre, non seulement, à les détecter et à les ignorer, mais aussi, nous devons absolument apprendre comment les éloigner pour toujours de nous. C'est une rude tâche. En faisant cela, certains peuvent exploser au bas de la spiritualité, mais ceux qui réussissent peuvent atteindre le sommet, le salut. Nous devons favoriser le zèle spirituel, contrôler et vaincre nos désirs et nos fantaisies, afin de pouvoir apprendre, penser et nous conduire bien. Au niveau le plus bas de la spiritualité, l'attachement et la haine sont les plus sévères, alors qu'au niveau le plus haut ils sont complètement éradiqués. Ces différents niveaux sont appelés « gunasthānakas ».

Gunasthānaka signifie l'étape du progrès spirituel de l'âme, en relation avec le contrôle du mohaniya karma et des autres karmas. Il y a quatorze gunasthānakas différents. La philosophie jaïne a expliqué les quatorze étapes de l'âme, par différents niveaux de progrès spirituel des jīvas. Depuis un temps immémorial, l'âme est engluée d'ajīva que l'on appelle des particules (pudgalas) de karma. A cause de cela, elle erre dans tout l'univers sous les formes de petites manifestations de vie (nigodas), d'oiseaux, d'animal, d'êtres infernaux (nāraki), d'êtres humais et d'êtres célestes (devas). Lorsque les impuretés du karma qui conduisent à l'attachement et à la haine sont minorées ou enlevées, le progrès spirituel de l'âme commence. L'attachement et la haine sont considérés comme des vices ou des défauts, les choses qui aident à les vaincre sont des vertus ou des mérites. Le progrès de l'âme se réalise suivant ses vertus et ses vices. Jusqu'à ce qu'elle devienne Arhat, elle fluctue dans ces différentes étapes de progrès et de régression, suivant l'asservissement des nouveaux karmas qui mûrissent et l'effacement des anciens. Pour rendre notre tâche plus facile, les Jina nous ont donné les clefs des trois joyaux que sont : la foi juste, la connaissance juste et la conduite juste. Si l'âme ne croit pas à la foi juste et à la connaissance juste, mais si elle suit la conduite juste, on dit qu'elle est dans le premier gunasthānaka, appelé mithyātva gunasthānaka.

Les quatorze gunasthānakas sont :

  1. l'étape de la croyance fausse avec un attachement et une haine intenses (mithyātva gunasthānaka),
  2. l'étape du goût de la vertu (sāsvādana gunasthānaka),
  3. l'étape du flottement entre croyance fausse et croyance juste (samyak-mithyadrishti gunasthānaka),,
  4. l'étape de la foi juste sans renoncement (avirati-samyakdristhi gunasthānaka),
  5. l'étape de la foi juste avec renoncement partiel (deshavirati gunasthānaka)),
  6. l'étape du renoncement total (sarvavirati ou pramatta samyati),
  7. l'étape du renoncement total et sans négligence (apramatta samyati),
  8. l'étape des efforts extraordinaires (nivritti-badar),
  9. l'étape de l'état presque sans passion (anivritti-badar),
  10. l'étape de la cupidité faible (sūkshma sāmparāya),
  11. l'étape de la suppression des passions (upashānta kashāya),
  12. l'étape de l'absence de passion (kshīna kashāya),
  13. l'étape de l'omniscient avec des activités (sayogi kevali),
  14. l'étape de l'omniscient sans activités (ayogi kevali).

Voyons tout cela plus en détail.

1) L'étape de la croyance fausse avec un attachement et une haine intenses.

On dit que quelqu'un est dans cette étape, quand il croit aussi bien le vrai que le faux et qu'il reste occupé à mal faire, sans aucun regret. Il n'a pas de foi dans les enseignements du Jina, ses passions sont fortes, et il se soucie du bien-être de son corps mais pas de celui de son âme. Cette étape est appelée la première et non l'étape zéro, parce que la perception et la connaissance de celui qui s'y trouve ne sont pas totalement bloquées

Pour parvenir à la libération, l'âme doit progresser de la première à la quatorzième étape, ce qui est difficile mais pas impossible. Lorsqu'une personne, dans la première étape, entre en contact avec quelqu'un de vertueux ou avec les enseignements de maîtres spirituels, elle se rend compte de ses fautes et elle veut alors faire de bonnes choses, c'est le commencement que l'on appelle sous le nom de « yathapravrittikarana ». L'âme éprouve le besoin urgent de purification intérieure mais, pour beaucoup, ce besoin n'est pas assez fort pour les obliger à partir, de façon précise, dans la direction positive. Ce besoin s'élève et redescend, comme un ballon. Peu de gens font un changement profond pour leur purification. L'engagement fort, pour changer et pour poursuivre dans cette voie, réduit le stock karmique en quantité, en durée et en intensité. Comme la personne n'a pas fait ces sortes d'activités, cela s'appelle « apūrva karana ». A ce stade, l'âme a atteint l'étape de la brisure du nœud de la dégradation où elle supprime, ou élimine ou combine la suppression et l'élimination du mohaniya et de l'anatānubhandi karmas et réalise la samyaktva. Ce sont des activités dites anivritti karana (qui calment). Spirituellement, une telle personne va de là au 4e gunasthānaka (samyakdristi). En atteignant la samyaktva, sa libération est garantie à un certain moment, dans le temps.

2) L'étape du goût de la vertu.

L'âme n'atteint pas cette étape en progressant, mais seulement en tombant de la 4e à la première. C'est un simple passage. Ceux qui ont atteint la 4e étape ou une étape plus haute, et qui, pour une raison quelconque, en tombent, transitent par celle-ci, avant de redescendre à la première. Dans cette étape, ils ont un certain souvenir de la samyaktva, mais cela dure très peu de temps.

3) L'étape du flottement entre croyance fausse et croyance juste.

La situation de l'âme dans cette étape est étrange. Elle monte de la première à la troisième lorsque le mishra mohaniya karma augmente. Pendant ce temps, elle balance comme un pendule entre les vues justes et les fausses. Par conséquent, dans cette étape, elle ne manifeste ni engouement, ni aversion, pour les enseignements du Jina. D'habitude, dans quarente-huit minutes, soit l'âme retombe à la première étape, soit elle va au 4e gunasthānaka, si sa conviction reste ferme.

4) L'étape de la foi juste sans renoncement.

En ayant une croyance absolue dans les neufs principes fondamentaux (tattvas), le jīva acquiert la foi juste. Lorsque l'âme atteint cette étape, elle a soit supprimé, soit éliminé ou éliminé et supprimé les cinq mohanyia karmas que sont le mithyatva mohaniya et les quatre annatanubandhi mohaniya karmas de la colère (kroda), de la vanité (mana), de la tromperie (maya) et de la cupidité (lobha). Cette étape de l'âme est appelée samyaktva. Toutefois, même si elle est là, elle n'est pas sortie du bois, parce que, à ce stade, elle est encore sous l'influence de l'aprattyakhana-mohaniya karma et d'autres karmas, qui l'empêchent de faire la moindre austérité. A ce niveau, le jīva manifeste encore modérément de la colère, de la vanité, de la tromperie et de la cupidité. Il comprend et il pense à son âme, mais il ne peut pas s'engager à se restreindre des vices ou des activités blâmables, ni renoncer aux choses du monde.

La samyakdristi jīva possède les cinq vertus suivantes : a) le calme naturel des passions, b) la discrimination entre le bien et le mal (samvega), c) le dégoût des plaisirs des sens (nirveda), d) la compassion et la générosité envers tout le monde (anukampā) et e) un croyance ferme à la vérité sur l'âme et sur le corps (āstikya).

En bref, à cette étape, même si la personne sait ce qui est bien et ce qui est mal, elle n'est pas capable d'avancer dans la voie de la discipline de soi et des efforts spirituels. Une fois que le jīva atteint ce niveau, sa libération est sûre, mais le facteur temps et le nombre de renaissances sont inconnus. Comme l'apratyakhana mohaniya karma est soit supprimé ou éliminé ou les deux, le jīva va à la 5e étape. Les êtres célestes peuvent seulement s'élever jusque là.

5) L'étape de la foi juste avec renoncement partiel.

A ce niveau, le jīva pratique le renoncement partiel et peut faire de un à douze petits vœux et diverses austérités, mais il est encore sous l'influence des pratyakhana caritra mithyatva mohaniya karmas, qui l'empêchent de pratiquer le renoncement total. Avec plus de méditation, le pratyakhana mohaniya karma est soit supprimé, soit éliminé ou les deux, par le jīva, et celui-ci va au 6e gunasthānaka. Certains animaux peuvent aller jusqu'au 5e. Une fois que le jīva atteint cette étape, sa libération se produit dans un minimum de trois vies suivantes et un maximum de quinze.

6) L'étape de la foi juste avec renoncement total.

A cette étape, les personnes renoncent totalement aux affaires du monde et adoptent la voie de l'élévation spirituelle. Elles n'ont plus rien à faire de la vie sociale ou culturelle. Ce sont des moines et des nonnes, qui pratiquent les cinq grands vœux, mais qui sont encore sous l'influence de passions très faibles, comme le rire, le dégoût, la peur, le chagrin, etc. Cela provoque, chez eux, quelques inattentions dans leur vie, c'est pourquoi cette étape est aussi appelée pramatta samyati. Samyati signifie sadhū et pramatta inattention. Cette étape et les suivantes ne peuvent être atteintes que pendant une vie humaine. A véritablement parler, c'est celle du commencement de la vraie vie spirituelle.

7) L'étape du renoncement total et sans négligence.

A cette étape, les moines et des nonnes orientent leurs pensées vers la libération. Ils sont très concentrés et très attentifs à leur cause, se conforment strictement aux principes de la discipline de soi, rejettent toutes les mauvaises pensées et n'effectuent aucune action répréhensible. A la fin de cette étape, le samyaktva mohaniya karma est soit supprimé, soit détruit, mais non les deux.

8) L'étape des efforts extraordinaires.

A cette étape, des choses se produisent qui ne sont jamais arrivées ainsi :

a) le temps de maturation des karmas est très court (sthitighata), Ils s'en iront ainsi plus vite.

b) l'intensité des karmas est réduite à un niveau très bas (rasghata),

c) les karmas, dont le temps de maturation a été réduit, sont enlevés pour mûrir même au début du processus (gunasherina),

d) les karmas sont transformés dans le groupe opposé, par exemple les mauvais en bons (gunasamkramana),

e) l'asservissement des nouveaux karmas dure très peu, comparé à celui qui a lieu d'habitude (apūrva shtitibandha).

Du fait de ces actions extraordinaires, on appelle aussi cette étape : apūrva karana, ce qui signifie : qui n'est jamais arrivée auparavant. Même si ces processus se produisent dans d'autres étapes, ils n'atteignent pas cette magnitude. Cette étape dure moins de 48 minutes (antahmuhurta).

Avec les processus ci-dessus, l'âme est prête à se trouver dans le style suppressif (upshama) ou dans le style destructif (kshapaka) du samyaktva mohaniya karma. Dans le premier, le karma est supprimé, dans le second, il est détruit complètement. S'il est supprimé, les karmas sont comme s'ils n'étaient pas là, c'est pourquoi on ne ressent pas leurs effets, mais des situations défavorables les poussent à faire surface et à produire leurs effets qui peuvent alors faire redescendre l'âme à une étape plus basse que celle où elle était. Par contre, aucun événement ne peut déclencher les karmas détruits, parce qu'ils ne sont plus là. Par conséquent, notre but doit être le style destructif plutôt que le style suppressif. Dans le destructif, l'âme avance mieux, sans redescendre dans une étape plus basse. Une fois que le jīva atteint ce stade, sa libération a lieu, soit dans la même vie ou dans les trois vies suivantes.

9) L'étape de l'état presque sans passion.

Dans cette étape, les passions deviennent si faibles que l'on peut dire que l'âme en est presque exempte. Cette étape dure aussi 48 minutes. A la fin, la colère, l'ego et l'avidité, les sanjvalana mohanyia karmas, sont soit supprimés, soit détruits. Pendant cette étape et la suivante, l'âme qui est dans l'état suppressif peut, en détruisant le mohanyia karma, se trouver dans l'état destructif.

10) L'étape de la cupidité faible.

Lorsqu'un jīva atteint cette étape, toutes les passions sont soit supprimées, soit détruites, à l'exception d'une petite cupidité due au sanjvalana karma. A la fin de cette étape, cette petite cupidité est soit supprimée, soit détruite. Si elle est supprimée, l'âme avance à la onzième étape, si elle est détruite, elle monte à la douzième et même plus haut.

11) L'étape de la suppression des passions.

Lorsque l'âme atteint cette étape, toutes les sous-catégories de mohanyia karma sont supprimées. Elle fait comme si elle n'avait ni attachement, ni haine. Aussi, est-elle appelée, à cette étape : chhadumastha vitarāga. C'est temporaire, car le mohanyia karma supprimé peut être poussé à réagir à quelque chose alentours, dans une période maximum de 48 minutes. Les passions réveillées peuvent alors faire redescendre l'âme de la onzième à la dixième étape. Si l'âme n'est pas vigilante, elle peut même revenir à la première. Durant sa chute, elle peut aussi se stabiliser à n'importe quelle étape et remonter en style suppressif ou destructif. L'âme peut, dans une même vie, atteindre au maximum deux fois le style suppressif et une fois le style destructif. L'âme qui a atteint cette étape peut être libérée, soit dans sa vie présente, soit dans les trois suivantes.

12) L'étape de l'absence de passion.

Lorsque le jīva atteint cette étape, il a détruit tout son mohaniya karma et, par conséquent, l'âme est maintenant sans passion, comme l'attachement et la haine. A partir de ce stade, elle est pour toujours vitaraga, dans son véritable sens. C'est l'un de ses vrais attributs. Après avoir atteint cette étape, bien que le jīva reste actif, il n'accumule plus de karmas, parce que les facteurs gluants, comme l'attachement et la haine, sont absents. Ils arrivent toujours jusqu'à l'âme, mais ils tombent immédiatement, dans une fraction de seconde. Une fois que le jīva est arrivé à cette étape, il n'en redescend plus, si dans les 48 minutes qui suivent il détruit les trois ghati karmas (jnanāvaranīya, darshanāvaranīya et antarāya), et il avance à la treizième étape. Une fois celle-ci atteinte, il obtient la libération à la fin de sa vie actuelle.

13) L'étape de l'omniscient avec des activités.

A ce stade, l'âme complètement délivrée des quatre gathi karmas est appelée omnisciente. Le jīva porte des noms différents, comme Arhat, Jina et Kevali. On l'appelle aussi Sayogi, parce que ses activités verbales et physiques sont encore actives. L'âme montre alors ses trois autres attributs que sont la connaissance parfaite, la perception parfaite et le pouvoir infini. Certains Arhats restaurent la communauté jaïne et sont appelés des Tirthankaras. Avec quelques autres différences sur cette étape, les Shvetāmbaras croient que l'homme et la femme peuvent tous deux l'atteindre, alors que les Digambaras pensent que seul l'homme peut y parvenir.

Le jīva obtient la libération à la fin de cette vie, en détruisant les quatre agathi karmas qui restent.

14) L'étape de l'omniscient sans activités.

L'état d'Ayogi est le dernier avant la libération totale de l'existence dans le monde. Durant celui-ci, le jīva détruit les quatre aghati karmas restants et l'âme arrête toutes les activités verbales et physiques. Cette étape est très brève, elle dure seulement le temps de dire les cinq voyelles courtes. Sitôt que ce temps est écoulé, l'âme quitte le corps et est libérée pour toujours. Lorsque cela se produit, on dit qu'elle a atteint le nirvana, le moksha, le salut ou la libération. Ensuite, elle reste éternellement, dans son état de pureté, au Siddhashila, au sommet de l'Univers.

Chapitre 18
Pèlerinages et lieux sacrés

Il y a beaucoup d'endroits, en Inde, qui sont d'une particulière importance, pour les Jaïns, parce qu'ils sont associés à des saints du passé. Un certain nombre sont des lieux où des adeptes, qui ont reçu l'illumination, ont quitté ce monde et sont parvenus à la libération finale, dans d'autres, soit des évènements religieux célèbres se sont produits, soit, on peut voir des temples ou des statues magnifiques qui poussent les fidèles à s'y rendre. Les pèlerinages à ces endroits sont, depuis longtemps, populaires. On ressent un grand mérite à les faire. Autrefois, et souvent même aujourd'hui, la pénibilité du voyage était une forme de pénitence qui apprenait l'endurance et le contrôle du corps. L'atmosphère religieuse et le fait de savoir que l'on est en un lieu que de grands personnages ont fréquenté, il y a longtemps, de même la quantité de pèlerins qui y viennent, inspirent des sentiments de grand respect.

Les fidèles qui se rendent à ces endroits sacrés peuvent être des moines, des nonnes, des laïcs seuls, des familles ou de grands groupes organisés. Pour certains, le voyage peut représenter un véritable sacrifice financier. Beaucoup d'adeptes fortunés entreprennent la tâche louable d'en aider d'autres à aller en pèlerinage. Il y a quelques cinquante ans, un pèlerinage, organisé par un grand homme d'affaires d'Ahmedabad, a réuni quelques 1500 personnes, dont 400 moines et 700 nonnes. Cinq cents aides, cuisiniers et agents de sécurité, s'occupaient d'eux. Ils ont voyagé lentement, la plupart du temps à pieds, certains à cheval ou dans des voitures jusqu'à Girnār (où le 22èmeTirthankara est parvenu à la libération) et au grand ensemble de temples de Shatrunjaya. Mille trois cents chars à bœufs et camions transportaient les équipements de cuisine et les bagages des pèlerins. Lorsqu'ils campaient, la nuit, les alignements de tentes, les lumières, les femmes exécutant des danses et chantant des chants religieux, donnaient au campement l'allure d'une petite ville. De nos jours, naturellement, la plupart des grands groupes de pèlerins voyagent par les moyens de transport modernes. L'inconfort peut être moindre, mais l'intention pieuse est la même et c'est toujours une pratique, pour les Jaïns riches, d'organiser et de financer de tels déplacements.

La plupart des grands lieux de pèlerinages sont éloignés des habitations, presque toujours au sommet de collines ou de montagnes, souvent dans un environnement de beauté naturelle convenant à la dévotion et à la méditation. Beaucoup de ces endroits peuvent avoir quelques logements gratuits ou à des prix insignifiants. A noter aussi que les fidèles donnent de l'argent pour l'entretien des lieux de pèlerinage.

Les temples jaïns, à travers l'Inde, sont remarqués pour leur propreté et leur atmosphère sacrée. Les fidèles y vont en portant des vêtements propres et laissant leurs chaussures à l'entrée. Des choses, comme dormir, parler, vagabonder, etc. ne sont pas admises dans les temples jaïns. Leur architecture, leurs sculptures et leurs ciselures sont splendides. Leur point de convergence c'est la statue du Tirthankara, assis ou debout, dans une profonde méditation, les yeux dirigés vers le bout du nez avec une expression tranquille et solennelle. La statue est nue et porte, souvent, une décoration en forme de diamant, sur la poitrine. Les Shvetāmbara ornent fréquemment leurs statues de bijoux, les Digambara laissent les leurs sans aucun ornement. Chaque Tirthankara possède un signe distinctif, qui figure sur son piédestal : un taureau pour Rishabhadeva, un lion pour Mahāvira et ainsi de suite. Le 33 ème Pārsvanāth a, au-dessus de sa tête, un baldaquin de sept serpents.

Parmi le grand nombre de lieux de pèlerinage jaïns, il y en a un qui a une sainteté incomparable, c'est le Mont Pārsvanāth ou Sammetshikhara, dans le Bihar. On croit, en effet, que c'est là que vingt des vingt-quatre Tirthankara ont laissé leurs corps terrestres et ont gagné le moksha. La montagne se dresse élégamment, avec des pentes boisées en bas et un pic découpé plein de temples. Tels qu'ils sont, aujourd'hui, ces édifices sont relativement modernes. Le plus beau, au sud-est, avec des dômes cannelés, abrite une statue en marbre noir de Pārsvanāth datée, à sa base, de 1765. Un grand nombre de fidèles viennent là. Les plus pieux, après avoir visité chaque sanctuaire, achèvent leur pèlerinage en faisant, à pieds, le circuit de trente miles de la base de la colline (1 mile =1 kilomètre 609).

De Sammetshikhar, les pèlerins peuvent aller à Pāvapuri, situé aussi dans le Bihar. C'est un endroit d'une grande beauté panoramique, spécialement lorsque les fleurs de lotus sont ouvertes dans le grand lac. On raconte une histoire suivant laquelle d'innombrables pèlerins ont formé ce lac, au cours des ans, en prenant une pincée de poussière pour marquer leur front. Un temple se dresse à l'endroit où Mahāvira est sensé avoir atteint le moksha et un autre là où son corps a été incinéré. Le second se trouve, à l'intérieur du lac, sur une île reliée au bord par un passage. La structure miroitante, se reflètant dans les eaux couvertes de lotus, constitue une vue splendide. Les deux temples ont été considérablement rénovés, au cours des ans. La fête de Diwali, date anniversaire du nirvana de Mahāvira, est célébrée là en grande cérémonie.

Dans les temps anciens, l'État du Magadha (du Bihar moderne) a été le berceau du Jaïnisme, mais, de nos jours, les communautés jaïnes sont plus importantes dans la partie occidentale de l'Inde. Le Rajasthan et le Gujarāt sont particulièrement riches en temples et en lieux de pèlerinages. On dit qu'il y a sept cents ans, il y avait plus de trois cents temples jaïns dans l'Inde occidentale, dont deux cents d'entre eux dans le seul Gujarāt. Dans le Rajasthan, Jaisalmer a longtemps attiré professeurs et étudiants dans sa célèbre bibliothèque de manuscrits et de milliers de livres religieux jaïns. Non seulement les érudits et les étudiants, mais aussi beaucoup d'adeptes font ce pèlerinage pour voir les temples splendides qui se trouvent là, extrêmement ciselés dans de la pierre jaune. Ranakpur, aussi au Rajasthan, possède un grand temple magnifique qui date du XV ème siècle. Il couvre 40.000 pieds carrés, sur une base élevée, entourée d'un haut mur, comme cela est courant pour les temples jaïns. Le sanctuaire principal a, suivant le style habituel jaïn, quatre fois six pieds de haut, avec des statues, en marbre blanc, de Rishabha qui font face dans les quatre directions, permettant ainsi quatre approches. D'innombrables piliers, on dit qu'il y en a 1444, richement ciselés, tous avec des dessins différents, donnent des vues à l'infini, à travers vingt-neuf halls entrecoupés de cours ouvertes.

Au XIIIème siècle après J.C, le roi jaïn du Gujarāt, Kumārapāla, a fait construire un temple à Taranga. Son successeur ayant combattu le Jaïnisme, ce temple a été presque détruit. Il a été rénové, plus tard, sous le règne de l'Empereur moghol Akbar, au XVIème siècle. Il est situé de façon pittoresque, au sommet d'une colline, avec une approche difficile qui montre l'endurance des pèlerins.

Incontestablement, les chefs d'œuvre de l'architecture jaïne, quasiment inégalés dans l'Inde, pour la beauté et la délicatesse des ciselures, sont les magnifiques temples Delwara du Mont Abū, au Rajasthan. Les découpes du marbre blanc sont si fines qu'il est presque translucide. Les maçons le grattaient plutôt qu'ils le ciselaient. L'on dit qu'ils étaient payés suivant le poids de la poudre retirée. Le transport des blocs, de loin, a dû, à lui seul, être laborieux et coûter très cher. Il faut citer les deux plus beaux temples du Mont Abu. L'un a été construit aux alentours de 1030 après J.C par Vimala Shah, un riche marchand. Il est dédié au 1er Tirthankara et il a été restauré en 1322 après J.C. Les quarante-huit piliers du hall principal sont, probablement, inégalés pour leur décoration unique. Son dôme de onze anneaux alternés, ciselés de figures humaines et animales, est impressionnant. L'autre temple, dédié au Tirthankara Neminātha, est plus grand, avec 115 pieds de long. Il a été construit vers 1230 après J.C par Tejapala, qui, avec son frère Vastupala, Premier ministre du Gujarāt, a été le fondateur de plus de cinquante édifices religieux, dont ceux de Shatrunjaya et de Girnār. Chaque temple se dresse sur une aire rectangulaire, avec des murs décorés de statues placées dans des niches autour de la circonférence. Non seulement ces temples, mais aussi la vue panoramique splendide de 4000 pieds au-dessus de la mer, constituent un site remarquable de grande signification religieuse.

Deux lieux de pèlerinages au Gujarāt, Girnār et Shatrunjaya, ont des temples et des sanctuaires si nombreux qu'ils ont été appelés des cités temples. Girnār est l'endroit célèbre où le Tirthankara Neminātha a atteint la libération. Un autre temple très beau, au sommet du mont, est vieux de plus de mille ans. Une inscription montre qu'il a été rénové en 1278 après J.C. Il comporte une cour rectangulaire entourée de quelques soixante-dix statues de Tirthankaras. C'est le temple le plus grand, mais il y en a beaucoup d'autres dont un, construit par Vastupala, en 1231 après J.C, dédié au 19 ème Tirthankara, Mallinātha.

Shatrunjaya est un lieu de pèlerinage jaïn ancien car ce fut là que, dit-on, le premier Tirthankara, Rishabha et son principal disciple sont parvenus à la libération. Plusieurs centaines de temples et de sanctuaires plus petits sont contenus dans les neuf enclos entourés de murs. Bien que la plupart d'entre eux soient modernes, ils ont été restaurés seize fois, datant d'une antiquité lointaine Un nouveau temple de Rishabhadeva a remplacé l'ancien, au milieu du XII ème. siècle, et Vastupala a fait construire, en face, sept chapelles, en 1231. Quelques édifices peuvent avoir leurs origines, sinon leurs formes présentes, qui remontent au Xème siècle. Malheureusement, Shatrunjaya a beaucoup souffert de la destruction, durant les conquêtes musulmanes, aux XIV ème et XV ème siècles, mais les reconstructions eurent lieu après 1500. En 1582, l'Empereur Akbar donna officiellement aux Jaïns le terrain qu'ils occupaient là. Certains, parmi les très grands temples, sont vraiment magnifiques, avec leurs hauts dômes en pain de sucre et leurs flèches, un trait typique de leur architecture, alors que les plus petits ont souvent une intimité simple et impressionnante. La construction de sanctuaires n'a pas cessé. Un nouveau complexe, érigé dans les années 1970, peut supporter la comparaison avec les plus anciens. La riche ornementation et la statuaire autour démontrent le talent des tailleurs de pierre. A partir du XVIIème siècle, Shatrunjaya est devenu de plus en plus important. Comme les fidèles s'assemblent là en grand nombre, des guides ont été écrits pour eux, détaillant les routes par lesquelles ils peuvent venir les visiter et prier devant leurs nombreuses statues. A une certaine date, chaque année, des pèlerins, au nombre d'environs 20.000, entreprennent un parcours circulaire de vingt miles. La difficulté est grande, mais le bonheur éprouvé en vaut la peine. Les pèlerins les plus forts peuvent faire à pieds une route de vingt-quatre miles. Des cérémonies spéciales ont lieu, à différentes dates, au cours de l'année. Certaines prières, certains souvenirs et rites sont effectués par les fidèles, à Shatrunjaya, en jeûnant et en pratiquant le culte.

Les endroits mentionnés jusque là sont, tous, situés dans la moitié nord de l'Inde mais le sud a, aussi, ses grands lieux de pèlerinages. Le plus célèbre est Shravana Belgola, à soixante-deux miles de Mysore. Là, sur une colline de 470 pieds au-dessus des plaines, se dresse la statue colossale de Bāhubali qui a cinquante-sept pieds de haut et vingt-six de tour d'épaules. Elle a été taillée dans un solide rocher aux alentours de 980 après J.C. Un cloître a été ajouté, autour, en 1116. C'est la statue monolithique la plus grande qui se dresse, ainsi isolée, dans le monde. Bāhubali ou Gommata était le fils de Rishabhadeva, le premier Tirthankara. On dit qu'il resta dans une méditation si profonde que des plantes grimpantes poussèrent sur lui. La statue le représente nu, marque d'un total renoncement aux choses du monde, y compris aux vêtements, les membres enlacés de plantes grimpantes. Il y a d'autres statues de Bāhubali, dans le sud de l'Inde, mais celle-là est de loin la plus grande et l'endroit est un centre majeur de pèlerinage pour les Jaïns, aussi bien du nord que du sud du pays. Dans un temple jaïn, la statue est baignée rituellement, chaque jour, comme partie du culte. Celle de Shravana Belgola est si énorme que ce rite ne peut être réalisé que sur ses pieds. A certains intervalles, cependant, entre douze et quinze ans, un grand échafaudage est dressé et l'énorme statue est douchée, cérémonieusement, avec des pots d'eau mêlée de bois de santal, de noix de coco, de sucre et de lait. Un demi-million de pèlerins assistait à la cérémonie qui s'est déroulée en 1967. Celle de 1981 a eu une signification spéciale, car elle marquait le millième anniversaire de la consécration de la statue.

Le pèlerinage aux lieux sacrés est une partie de la tradition de pratiquement toutes les religions dans le monde. Les épreuves du voyage disciplinent le corps, la compagnie d'autres pèlerins renforce la foi. Prier et exercer le culte dans un site rendu saint par la tradition, par la consécration ou la vénération de générations de fidèles, se trouver en un endroit où les grands maîtres religieux et les saints ascètes ont été, tout cela inspire et élève l'âme. Elle acquiert du mérite et l'esprit la paix. Les interprétations d'un pèlerinage sont différentes. Certains, gens simples, sont heureux de se perdre dans l'impressionnante circonstance et de suivre les rites et les prières. D'autres peuvent souhaiter avoir un point de vue intellectuel, écarter les légende les plus miraculeuses ou les voir au moins comme des histoires pieuses et éducatives, plutôt que de les accepter comme l'exacte vérité. Mais, peu nombreux sont ceux qui font le voyage aux lieux sacrés et en reviennent sans avoir été touchés.

Les pèlerinages et les temples sont une partie vivante de la religion jaïne et non quelque tradition moribonde du passé. A Leicester, en Angleterre, un centre jaïn a été réalisé, pour la première fois, dans l'hémisphère occidental, Il possède un temple splendide, en pierre taillée, avec des statues consacrées de Tirthankara à l'intérieur. Le travail a été rendu possible grâce aux contributions de tous les Jaïns du monde, afin de fournir, aux pèlerins qui veulent venir de Grande-Bretagne, d'Europe, de l'Inde et de toutes les parties du monde, un lieu pour prier devant les trois statues de Shāntinātha, de Pārsvanātha et de Mahāvira.

Chapitre 19
Yakshas et Yakshīnis

Les Jaïns vénèrent les statues des Tirhtankaras, en tant qu'êtres supérieurs, mais, à mesure que le temps a passé, ils ont commencé à honorer, dans leurs temples, beaucoup d'autres déités, Yalshas et Yakshīnis. Nombreux sont ceux qui se demandent qui sont-elles ? Pourquoi sont-elles là ? Pourquoi ont-elles pris tant d'importance ? Devraient-elles être là ?

La réponse à la première question c'est que, même si, à une certaine époque, il peut sembler qu'elles ont eu plus de vénération, de la part de beaucoup, elles ne sont pas identiques aux Jinas, aux Arhats ou aux Tirthankaras, qui ont vaincu leurs passions intérieures. Ces déités (Yakshas et Yakshīnis) en sont pleines et elles errent dans le cycle des naissances et des morts, exactement comme nous. On les appelle aussi des « Shāshanadevatās » (des déités gardiennes). Ce sont des êtres célestes du groupe Vyantara qui ont des pouvoirs surnaturels, dont celui de changer leurs formes et leurs tailles. La réponse à la seconde question c'est que, d'après certaines croyances, les Jaïns pensent que ces êtres célestes ont été désignés par Indra pour veiller au bien-être des Tirthankaras. C'est pourquoi on les trouve toujours près des Jinas. Ce qui justifie leur présence dans les temples jaïns. Ils figurent, en général, en couple un homme (Yaksha) et une femme (Yakshīni). Le Yaksha est d'habitude du côté droit de la statue du Jina, la Yakshīni du côté gauche. A une époque ancienne, on les considérait surtout comme des serviteurs des Jinas mais, à mesure que le temps a passé, ils ont aussi été vénérés.

Tous les Yakshas ne sont pas bienveillants, certains peuvent être néfastes. Alors que quelques-uns ont rendu hommage au Seigneur Mahāvira et l'ont protégé de diverses souffrances, le Yaksha Sulpani l'a troublé dans sa méditation et lui a infligé pas mal de tourments. Il existe des histoires similaires concernant d'autres Yakshas. Le lieu de résidence (bhāvanā) d'un Yaksha est connu aussi sous le nom de caitya ou d'ayatana. Il peut se trouver à l'extérieur de la cité, sur la colline ou la montagne, sur un arbre, dans une réserve d'eau, à la porte de la cité, dans une maison ou dans un palais, dans la cité. Le célèbre Yaksha Angulimala vivait dans un arbre, dans la forêt. Lorsque cet arbre a été remplacé par un autre, il a pris place à la porte de la cité.

Les êtres humains sont des opportunistes. Comme les Jinas ne les récompensent pas, même s'ils les vénèrent sincèrement, des Jaïns ont pensé que les Yakshas pouvaient leur accorder des bienfaits immédiats. C'est pour cette raison qu'ils leur ont attribué des places dans leurs temples. Certains Yakshas étaient, et sont connus, pour donner la fertilité et la richesse à leurs dévots. Aussi sont-ils devenus très populaires et leurs statues ont été placées dans les temples jaïns. Certains adeptes les vénèrent et leur offrent différentes choses en faveur de la santé de leurs enfants, de la richesse, de la délivrance de la peur, de la maladie ou des infirmités.

Les écrits anciens, comme le « Sthanagasūtra », l' « Uttarādhyayasūtra », le « Bhagavatīsūtra », le « Tattvārthasūtra », l' « Antagadasasūtra » et le « Paumācāriya » font de fréquentes références aux Yakshas. La mention des Shāshanadevatās dans l' « Harivamsapūrana » (783 après J.C) est le commencement de ce concept. Parmi ceux-ci, les Yakshas Manibhadra et Purnabadra, et la Yakshīni Bahūputrika, ont été les mieux vénérés. Manibhadra et Purnabhadra sont mentionnés comme les chefs des demi-dieux, Manibhadra de ceux du nord et Purnabhadra de ceux du sud. Bahūputrika, qui a eu de nombreux enfants, est indiquée comme étant la reine de Manibhadra. L' « Harivamsapūrana »cite, aussi, la capacité qu'ont les Yakshas et les Yakshīnis de pacifier les pouvoirs des rogas, raksasas, bhutas et pisacas. Certains ont cru, aussi, qu'ils distribuaient leurs faveurs à ceux qui les vénéraient et pour cela ils sont devenus, pour eux, plus populaires que les Jinas. Ils ont commencé à les honorer pour satisfaire les désirs matériels qui ne pouvaient l'être par la dévotion envers les Jinas Vitaragas. C'est pour cela, qu'entre le Xème et le XIIIème siècles, le Yaksha Sārvhanubhuti ou Sarvahna et les Yakshīnis Cakreshvarī, Ambikā, Padmāvatī et Jvālamālinī sont devenus si populaires que des disciples indépendants sont apparus autour d'eux. Plusieurs temples ont été érigés uniquement pour les révérer. On peut voir cela, même maintenant.

Les œuvres jaïnes du VIème au Xème siècles après J.C. mentionnent seulement quelques figures iconographiques de Yaksharāja (Sarvahna ou Sarvanubhuti et Dharanendra comme Yakshas, Cakreshvari, Ambikā, Padmāvatī comme Yakshīnis). La liste de vingt-quatre couples de Yakshas-Yakshīnis a été finalisée aux alentours des VIII ème - IX ème siècles après J.C, comme on la trouve dans le « Kahavali », « le Tiloyapannatti » et le « Pravacanasaroddhara ». Leurs formes iconographiques indépendantes ont été standardisées, aux alentours des XI ème -XII ème siècles, comme mentionnées dans le « Nirvankalika », le « Trisastisalakapurusacaritra », le « Pratishasara-samgraha », le « Pratisthasaroddhara », le « Pratishtalika », l' « Acaradinakara » et dans un certain nombre d'autres textes. Toutefois, on trouve beaucoup de différences, entre les traditions Shvetāmbara et Digambara, en ce qui concerne les noms et les figures iconographiques des Yakshas et des Yakshīnis. Ces noms et ces figures ont reçu l'influence des dieux et des déesses brahmaniques et bouddhiques. Les Jaïns paraissent avoir adopté leurs noms ou leurs figures iconographiques ou les deux, dans de tels cas.

Les Āgamas originaux ne mentionnent ni le Jina, ni la vénération de statues, même si, pendant 2500 ans, les Jaïns on construit des milliers de temples merveilleux, à des coûts très élevés, et y ont placé leurs statues pour vénérer les Tirthankaras. Par conséquent, l'idée de statue ou de vénération de statues, même celles des Jinas, serait un anathème à l'esprit et aux paroles véritables de ceux-ci. En érigeant et en vénérant des Yakshas et des Yakshinīs et en leur demandant des bienfaits matériels, les Jaïns se sont ainsi détournés de la voie spirituelle et ont été attirés par les attachements matériels. Pendant un moment, même si nous espérons un gain matériel par leur vénération, quiconque y procède devrait en bénéficier, or cela ne se produit pas. Par conséquent, nous vivons dans une croyance fausse (mithyatva). On ne doit pas oublier que si un gain matériel est atteint, c'est par la maturation de nos bons karmas (shubha). Somadeva a senti que ces Shāshanadevatās pouvaient remplacer les Jinas, plutôt qu'être complémentaires de ceux-ci comme objets de vénération. Quiconque les vénère à l'égal des Jinas va dans la mauvaise direction. Asadhara a déclaré qu'une personne qui a une vue juste ne vénèrera jamais les Yakshas, même si elle est assaillie par de grandes calamités. Cela, parce qu'en tant que Jaïns nous croyons que nos malheurs sont de notre fait et que nous devons les vaincre avec calme, pour arrêter le tourbillon de la réaction qui ne fera rien, sinon en provoquer de plus grands. En conclusion, les directives établies dans le Jaïnisme nous disent ce qui est bien et ce qui est mal, mais il appartient à chacun de décider des statues que nous devons vénérer et de celles que nous devons simplement admirer.

(Les branches des Jaïns Shvetāmbaras sthanakavasi et terapanthi et des Digambaras taranapanthi ne croient pas à la vénération des statues.)

Voyons quelques-uns des Yakshas et des Yakshinīs les plus connus.

L'information sur ce sujet a été recueillie dans le livre de Pramaoda Chitrabhanu « Jain symbols, Ceremonies and Practices » ( Symboles, cérémonies et pratiques jaïns).

CHAKRESHWARI DEVĪ.

C'est la déesse qualifiée de servante du Seigneur Adinath (Rishabhadeva). On l'appelle aussi Apratichakra. Sa couleur est dorée. Son véhicule est un aigle. Elle a huit bras. Dans ses quatre mains droites, elle tient le mudra béni, la flèche, le corde et la roue de la lumière, dans ses mains gauches les rênes, l'arc, l'arme protectrice d'Indra et une roue.

ĀMBIKA DEVĪ.

C'est la déesse affectée au Seigneur Nemināth, le 22 ème Tirthankara. Elle est aussi appelée Āmbai Āmba et Amrā Kushmandinī. Sa couleur est dorée et son véhicule est un lion. Elle a quatre bras. Dans ses deux mains droites elle porte une mangue et une branche de manguier, dans ses deux mains gauches une rêne et ses deux fils.

PADMĀVATI DEVĪ.

C'est la déesse affectée au Seigneur Parshvanāth, le 23 ème Tirthanakara. Sa couleur est dorée et son véhicule est un serpent à tête de coq. Elle a quatre bras. Dans ses deux mains droites elle tient un lotus et un rosaire, dans ses deux mains gauches un fruit et des rênes.

SARASVATĪ DEVĪ.

C'est la déesse de la connaissance. Elle est considérée comme la source du savoir. Cette énergie divine est à la base de la lumière spirituelle, elle ôte toute ignorance et elle favorise toute connaissance. Elle est respectée et admirée par les personnes du monde et par les saints ascètes. Elle a quatre bras, l'un tient un livre, l'autre un rosaire, et avec ses deux autres mains un instrument de musique que l'on appelle une vīnā. Elle est assise sur un lotus et son véhicule est le paon qui représente l'équanimité dans la prospérité. A certains endroits, il est indiqué que son véhicule est un cygne.

LAKSHMĪ DEVĪ.

La déesse LakshmĪ représente la richesse. Elle est vénérée comme la déesse de la fortune, du pouvoir, de l'argent, etc. Dans ses deux mains levées, elle porte un lotus et un éléphant, dans ses deux mains baissées, elle a un rosaire dans la droite, et un pot dans la gauche.

MANIBHADRA DEVA.

C'était, au départ, un Yaksha vénéré, depuis longtemps, par les Indiens. Son introduction dans le panthéon jaïn est tardive. C'est un personnage qui a six bras et dont le véhicule est un éléphant.

GHANTĀKARNA VEER.

Cette déité est vénérée pour sa protection et pour éloigner la mauvaise influence créée par les sortes d'énergies négatives très basses. Sa flèche indique la pénétration des forces mauvaises. L'arc donne la force à la flèche. Son symbole est la cloche qui tinte pour créer des sons favorables dans l'atmosphère. Quelquefois ceux qui ne sont pas au courant l'appellent à tort Ghantakarna Mahāvira, ce qui crée une confusion entre lui et le Seigneur Mahāvira. Il n'a aucun rapport avec Mahāvira.

NĀKODĀ BHAIRAVA.

C'est la déesse tutélaire de Bhairava. On la trouve, d'habitude, près de l'entrée du temple. Les gens qui visitent le sanctuaire lui font des offrandes de fleurs pour qu'elle satisfasse leurs désirs matériels. C'est la force positive autour du temple.

BHOMIYAJI.

Cette déité a la forme d'une montagne. C'est l'énergie naturelle positive du mont Sammetshikhar. Son énergie inspire et guide les croyants et les voyageurs.

Chapitre 20
La grande ancienneté du Jaïnisme

L'histoire ancienne de l'Inde rapporte qu'il y avait trois religions majeures dans le pays : le Brahmanisme, le Bouddhisme et le Jaïnisme (Nirgranthas). Des recherches récentes et des fouilles à Mohenjodaro et à Harappa ont montré que le Jaïnisme existait déjà il y a cinq mille ans. Toutefois, les Jaïns croient que leur religion est éternelle.

« Il y a du vrai, dans la pensée jaïne, que cette religion a une très lointaine existence. L'ancienneté en question, pré-aryenne, est appelée dravidienne et attestée par la découverte d'une série de cités remontant à l'âge de pierre, dans la vallée de l'Indus, datant du troisième peut-être même du quatrième millénaire avant J.C » (Professeur Zimmer, dans « Myths and symbols in Indian art and civilisation »).

Revendication d'éternité.

Naturellement, les adeptes de chaque religion prétendent qu'elle a sa source dans l'antiquité. Les Jaïns ne font pas exception à la règle. Leurs traditions et leurs récits légendaires disent que le Jaïnisme est éternel et que vingt-quatre Tirthankaras font sans cesse connaître le Jaïnisme, dans chaque période cyclique de l'univers. Ils divisent l'étendue du temps en deux cycles égaux, appelés : utsarpinī et avasarpinī. Durant l'utsarpinī, la situation morale et physique de l'univers progresse graduellement, dans l'avasarpinī, c'est tout le contraire, la situation décline graduellement. Chacun des deux cycles est subdivisé, à son tour, en six ères qui s'étendent, chacune, de vingt-deux mille ans à des crores d'années. Les demi-cycles se succèdent éternellement et des êtres humains, comme nous, apparaissent, à intervalles réguliers, pour être des Tirthankaras. Ils pratiquent, eux-mêmes, les principes éternels du Jaïnisme, atteignent l'omniscience (kevalajnāna), prêchent et exposent la même doctrine.

Les racines pré-aryennes.

Presque tous les érudits sont d'accord pour reconnaître que, dans l'histoire culturelle de l'Inde, le Jaïnisme a des racines pré-aryennes. Comme le Dr A. N. Upadhye l'a fait remarquer « Les origines du Jaïnisme remontent aux temps pré-historiques. On les trouve dans la vallée fertile du Gange où ses adeptes se sont épanouis dans le passé, avant même l'arrivée des Aryens avec leur religion sacerdotale. C'était une société d'ermites qui mettaient l'accent sur l'effort individuel, sur la pratique d'un code moral et de diverses austérité s, comme moyens de parvenir au Summum Bonum » (Dr A. N. Upadhye « A Cultural History of India », Clarendon Press , Oxford, p.100.)

Dans la même veine, Joseph Campbell a fait ce commentaire « Le Sankhya et le Yoga sont une sophistication psychologique postérieure des principes conservés dans le Jaïnisme. Tous deux sont la théorie et la pratique d'une même philosophie » (Prof. Zimmer « Philosophies of India », édité par Joseph Campbell, voir l'éditorial, p.60.)

D'autres savants, comme le Prof. Bulher, Hermann Jacobi, J.G.R. Forlong, le Dr Hoernle, le Pt Sukhalalji, le Prof. Vidyalankara, l'Ācārya Tulsi, le Prof. G.C. Pandey, et d'autres, pensent que le Jaïnisme et un système religieux très ancien qui prévalait, en Inde, dans les populations non-aryennes de la civilisation de la vallée de l'Indus. (Prof. Buhler « Indian sect of Jainism »).

Dans l'écrit bouddhiste « Majjima Nikaya », Bouddha, lui-même, parle de sa vie ascétique et de ses prescriptions, qui sont en conformité avec le code de conduite du moine jaïn. Il dit : « Ainsi, Sari Putta, ma pénitence n'était-elle pas trop grande ? J'allais sans vêtements. Je léchais ma nourriture de mes mains. Je ne prenais pas la nourriture qui m'était apportée ou qui était spécialement préparée pour moi. Je n'acceptais pas d'invitation à un repas ».

Mme Rhys Davis a aussi observé que Bouddha a trouvé ses deux maîtres, Alara et Uddaka, à Vaisali et qu'il a débuté sa vie religieuse comme un Jaïn.

Dans le « Samanna Phal Sutta », les quatre vœux de Parshvanāth (qui a vécu 250 ans avant la libération de Mahāvira) sont mentionnés. Attakatha dans l' « Anguttara Nikaya » fait référence à Boppa Sakya, un résident de Kapilvastu qui était l'oncle de Bouddha et qui suivait la religion des Nigganthas, c'est-à-dire des Jaïns.

Une étude critique comparée fait ressortir que plusieurs mots, comme « āsrava », « samvara » etc, employés par les Jaïns dans leur sens originel, sont mentionnés, dans la littérature bouddhiste, dans leur sens figuré. Sur la base de ces mots, le Dr Jacobi a conclu que le Jaïnisme était beaucoup plus ancien que la religion de Bouddha et que, par conséquent, il n'était pas exact de le considérer comme une branche du Bouddhisme. (Diwakar S. C. « Glimpse of Jainism »).

Certains historiens pensent que le Jaïnisme existait, sans aucun doute, bien avant le Bouddhisme, et que c'est une croyance protestante qui s'est révoltée contre les sacrifices du culte védique. Les recherches avancées montrent que cette affirmation n'est pas fondée. Les livres sacrés, respectables et sérieux, des Hindous eux-mêmes, affirment la nature bien antérieure de la pensée jaïne. Le « Rigveda », le livre sacré le plus ancien des Hindous, cite le Seigneur Rishabhadeva comme du fondateur du Jaïnisme. Il mentionne, aussi, l'incarnation de Vaman qui est la 15ème sur 24. Le nom de Rishabha apparaît avant les incarnations de Vaman ou du nain Ram, de Krishna et de Bouddha. Par conséquent, il est très clair que Rishabha a dû vivre longtemps avant la composition du « Rigveda».

Le grand érudit, le Dr S. Radhakrishnan, ex-Président de l'Union indienne, observe, dans son « India Philosophy », que « La tradition jaïne attribue l'origine du système à Rishabhadeva, le premier Tirthankara. Il ne fait aucun doute que le Jaïnisme existait avant Vardhaman ou Parsvanāth.

Le « Yajurveda » cite les noms de trois Tirthankaras : Rishabha, Ajitnāth et Arishtanemi. Le « Bhagvat Pūrana » adopte, aussi, l'idée que Rishabha a été le fondateur du Jaïnisme (Vol. II, p.286)

Les fouilles, faites à Mohenjodaro et à Harrapa, montrent que le Jaïnisme existait, il y a cinq mille ans, parce que les statues debout, sur les sceaux de l'Indus, ressemblent à celle de Rishabha, trouvée à Mathura. Le sentiment de détachement qui caractérise l'image debout, sur trois de ces cinq sceaux, avec un taureau en premier plan, peut être le prototype de Rishabha (Modern Review, août 1932, Sindha Five Thousand Years Ago).

Le poète Jinasena parle, dans son « Mahāpūrana », de Rishabha comme d'un « Yogishwara ». Par conséquent, les matériaux extraits de la vallée de l'Indus établissent, de façon éclatante, que le fondateur du Jaïnisme vivait à la période pré-védique. La statue jaïne nue, de 320 avant J.C, au Musée de Patna, nous aide à défendre cette thèse (Diwakar S. C « Glimpse of Jainism »).

Les recherches du savant renommé, le Prof A. Chakravarty, ont mis à jour des éléments matériels inestimables qui prouvent la nature plus ancienne de la pensée jaïne. Lorsque les envahisseurs aryens sont arrivés en Inde, les Dravidiens, qui habitaient le pays, se sont opposés véhémentement, à eux. Les penseurs aryens du « Rigveda » parlent de ces Dravidiens, anti-Aryens, comme des ennemis et, par conséquent, ils les affublent de termes peu flatteurs. Ils sont qualifiés de « Dasyus ». Le dieu aryen Indra est appelé « Dasyusharya » (le massacreur des Dasyus). Ces ennemis sont nommés « Ayajvan » (qui ne font pas de sacrifices), « Akraman » (qui n'ont pas de rites), « Adevaya » (qui sont indifférents aux dieux), « Anyavrata » (qui suivent d'étranges pratiques) et « Devapīya » (qui injurient les dieux ). Ils sont décrits comme étant noirs de peau et « anas » (le nez retroussé). L'autre épithète est « Mridhravas » (aux paroles inintelligibles). Des savants orientaux sont de l'avis, probablement exact, que ces Dasyus, opposés aux Aryens, étaient les Dravidens qui habitaient le pays, lorsque ceux-ci l'envahirent. Ils sont, aussi, appelés « Sisnadevas » parce qu'ils vénèrent l'image de l'homme nu.

L'étude critique de certains hymnes védiques, comme le « Nadsiya sukta », montre qu'il a du y avoir un courant de pensée particulier, durant la période pré-védique, qui a influencé les « Vedas ». Le Dr. Mangaldeva a estimé que « la philosophie jaïne pouvait être une branche du courant de pensée pré-védique. Certains termes jaïns, comme « pudgala » (matière) confortent ce point de vue » (Diwakar S.C. « Glimpse of Jainism).

Un coup d'œil, sur le glorieux passé du Jaïnisme, montre que les vies de Rishabhadeva, et des trente-trois Tirthankaras qui lui ont succédé, ont profondément marqué la culture du monde. Lorsque Alexandre a envahi l'Inde, il est tombé, à Taxila, sur une horde d' ascètes jaïns nus que les auteurs grecs appellent des « Gymnosophes ». Ce mot grec signifie : philosophes nus. Un groupe mystique d'Israël, celui des Esséniens, a été très influencé par ces « Gymnosophes » qui prêchaient le message d'Ahimsā, la vérité centrale du Jaïnisme, au peuple d'Alexandrie, en Egypte. Des vestiges historiques nous disent que les Grecs ont été très influencés par les idées jaïnes. Alexandre avait emmené dans son pays un ascète jaïn qui s'appelait Calanes (Diwalkar S.C « Glimpse of Jainisme »). Il faut noter, à ce sujet, que les Esséniens d'Israël étaient des ascètes qui suivaient les principes de non-violence. Ils avaient une grande emprise sur le peuple et une grande influence en Palestine. Jean-Baptiste était un maître ascète de cette école. Jésus-Christ, le fondateur du Christianisme, a été très influencé par ce groupe non-violent de Jean et par d'autres maîtres esséniens. En 600 avant J.C ce groupe avait progressé au-delà de la Syrie et de la Palestine.

Les enseignements jaïns ont aussi influencé Pythagoras, le philosophe de la période pré-socratique, qui est né en 532 avant J.C et qui a mené une vie de non-violence. C'est durant cette période que vivait le Seigneur Mahāvira, que les ignorants ont appelé le fondateur du Jaïnisme. Peut-être ses enseignements ont-ils eu une influence sur les peuples de pays lointains ? (Diwakar S.C. « Glimpse of Jainism »).

Dans son livre « The Magic of numbers » (La magie des nombres), p. 87, E.T. Bell raconte que Pytagoras vit, un jour, un citoyen qui battait son chien avec un bâton. Sur ce, le philosophe miséricordieux cria « Arrêtez de battre ce chien ! Dans ses hurlements de souffrance, j'ai reconnu la voix d'un ami. Par ce péché que vous commettez, il est maintenant le chien d'un méchant maître. Dans son prochain tour, la roue de la naissance peut faire de lui le maître et vous le chien. Puisse-t-il être plus miséricordieux envers vous que vous l'êtes pour lui ! C'est seulement ainsi qu'il pourra échapper à la roue. Au nom d'Apollon, mon père, arrêtez ou je serais obligé de dire sur vous les dix malédictions de Teteractyas ! ». Cela montre l'effet du Jaïnisme (Diwakar S.C. « Glimpse of Jainism »).

Processus de synthèse.

Evidemment, avec l'émergence de la période des Upanishads (vers 800 avant J.C et plus tard) le processus de synthèse des cultures shramanes (non-aryennes) et védique (aryenne) a démarré. L'interaction sociale, économique et politique entre les colons aryens et leurs opposés non-aryens, plus avancés, a enrichi la connaissance des premiers. Ils ont commencé à interpréter leurs « Vedas » à la lumière de cette connaissance accrue.

A ce stade, une récapitulation de la division de l'histoire ancienne de l'Inde, en périodes, serait de quelque intérêt pour comprendre le long processus d'intégration des cultures non-aryennes et aryennes.

En gros, la période qui correspond de 3500 à 1500 avant J.C est considérée comme celle de la Civilisation de la Vallée de l'Indus des races non-aryennes. Elle coïncide avec les civilisations sumériennes et acadiennes du Moyen Orient, qui ont prospéré aux alentours de 2500 avant J.C. (elles aussi étaient des civilisations de vallées de rivières) et la civilisation minoenne de Crète. Ainsi, la période qui correspond à plus de deux mille ans peut être considérée comme la Civilisation des Vallées de Rivières qui couvrait les parties nord et ouest de l'Inde jusqu'au Saurastra au Gujarat. C'est une histoire d'il y a cinq à six mille ans (Mehta.T.U « The Path of Arhat. A religious democracy » édité par « Parsvanāth Sodhapitha »).

L'invasion aryenne de l'Inde date approximativement de 1500 avant J.C, c'est-à-dire il y a trois à quatre mille ans, et coïncide pratiquement avec l'invasion hellénique de la Grèce. Elles semblent avoir apporté avec elles quelques parties du « Rigveda » et des autres « Vedas », de 1500 à 800 avant J.C. période qui, pendant de 700 ans environs, peut être appelée védique et ensuite brahmanique.

Les « Brahmanas » ont précisé les règles et les détails de l'emploi des mantras ou des hymnes dans les divers rites sacrificiels. Il en a résulté que la classe des prêtres, qui avait seule et exclusivement le droit de faire les rites, a pris une trop grande importance et a dominé pratiquement la société. Durant cette période, les Aryens s'étaient complètement installés et avaient totalement vaincu les races non-aryennes. Les non-Aryens avaient été absorbés dans leur structure sociale, principalement comme Dasyus (la classe des travailleurs), et traités comme des citoyens de seconde classe. Cependant, les Aryens avaient d'extraordinaires capacités d'absorber et d'assimiler toutes les nouvelles choses de la vie. Ils adoptèrent non seulement beaucoup de pensées culturelles et philosophiques de leurs opposants non-Aryens, mais ils les enrichirent, aussi, par leurs propres pensées originales. Ils comprirent qu'au-delà de cette existence terrestre, après la vie, il y avait quelque chose de distinct. Pour atteindre ce « quelque chose » la propitiation des dieux par les sacrifices et les offrandes d'êtres vivants n'était pas la voie qui convenait.

Lorsque les Aryens connurent les théories non-aryennes d'austérité s, de non-violence, de karma et d'âme, ils comprirent ce « quelque chose » et que le but de leur recherche pouvait être satisfait en travaillant sur ces théories. Cela se manifeste dans le « Chhādogya Upanishad » quand le Risi Aruni explique à son fils le nouveau secret qui a été trouvé de la vraie nature de soi, non enseigné au cours du long terme d'éducation dans les « Vedas » existants (réf. au dialogue entre Aruni et son fils Svetaketu, dans le chapitre sur l' « Ontologie de l'Atman » dans ce livre). Nichiketa dans le « Kathopanishad » va chez Yama (le dieu de la mort) pour apprendre la science de l'Atman (de l'âme) en lui posant la question « Lorsqu'un homme meurt, existe-t-il encore ou non ? ».

Ainsi il y a eu un mouvement intellectuel fervent dans la période post-brahmanique quand les Risis des « Upanishads » ont commencé à mettre en question l'inutilité des rites sacrificiels et à appliquer leurs esprits objectivement aux enseignements des traditions shramanes de l'Inde ancienne. Cette tendance a commencé longtemps avant la période dite des « Upanishads », mais elle a progressé seulement durant la période du trente-troisième Tirthankara Parsvanātha, reconnu, maintenant, comme un personnage historique, qui a vécu de 872 à 772 avant J.C, époque où les « Upanishads » battaient leur plein. Comme son successeur Mahāvira, Parsva avait une grande capacité d'organisateur. Il organisa l'ordre shramanique et exposa le caturyama des quatre principes que sont la non-violence (āhimsa), la sincérité (satya), l'honnêteté (asteya) et la restriction des possessions (aparigraha). Ses enseignements shramanes ont eu une grande influence sur la pensée contemporaine et, avec l'arrivée de Mahāvira (527 avant J. C.), le temps devint mûr pour l'assaut final et décisif contre la culture brahmanique des rites et des sacrifices violents.

Mahāvira et son contemporain Bouddha (563 avant J. C.) ont mené, tous les deux, une croisade implacable contre les maux sociaux et culturels qui prévalaient à cette époque. Cette croisade a continué, avec vigueur, jusqu'au VIII ème siècle après J.C, mais, sans l'arrivée du grand Sankara, qui a assimilé les idées shramanes du Bouddhisme dans son brillant exposé du « Vedanta », la culture védique aurait été pratiquement balayée de toute l'Inde.

Maintenant, les idées shramanes de non-violence, de karma et d'âme sont devenues tellement identifiées avec la culture védique, qu'il n'y a absolument pas de différence entre l'attitude d'un Jaïn et d'un Hindou, envers les problèmes individuels et sociaux de la vie. Ces attitudes sont si semblables que, à moins que l'on vous dise que c'est un Jaïn, on ne peut pas, par sa conduite, se rendre compte qu'il est un non-Hindou, par sa religion. (Mehta T. U. « The Path of Arhat. A religious democracy » édité par « Parsvanāth Sodhapitha »).

Chapitre 21
Introduction au Tattvārtha Sūtra

La majeure partie de la littérature sacrée des Jaïns est écrite en langue ardhamāgadhī. C'était celle que le peuple parlait, à cette époque. Le sanskrit est devenu la langue royale et de l'élite. Les auteurs jaïns ont, aussi, commencé à écrire en sanscrit leurs textes religieux et autres. Le « Tattvārtha Sūtra » est le premier de ces textes en forme d'aphorismes. Il a deux autres noms : « Tattvārthādhigama-sūtra » (Manuel pour la connaissance de la véritable nature des choses ou des réalités) et « Moksha-shāstra » (Principes du salut) mais il est généralement connu sous celui de « Tattvārtha Sūtra ».

Le titre « Tattvārtha Sūtra » est composé de trois mots sanskrits : « tattvā » (vraie nature), artha (choses ou réalités) et « sūtra » (aphorisme en peu de mots). On peut, par conséquent, l'appeler « Aphorismes sur la vraie nature des réalités », ce qui indique son contenu.

Il n'y a pas d'information précise sur la date de sa composition. Toutefois, on s'accorde à dire qu'il a du l'être au cours de la période des aphorismes élégants. Les premiers siècles chrétiens ont, presque tous, en Inde, un système philosophique ou religieux qui a mis, ses principes sous une forme courte et agréable. Le « Brāhmasūtra », le « Yogasūtra », le « Vaisheshikasūtra », le « Nyāyasūtra » etc représentent les textes, sous forme d'aphorismes, de différents systèmes. Le « Tattvārtha Sūtra est le texte, sous forme d'aphorismes, du système jaïn. Il a du être composé entre l'an 200 et l ‘an 400 de notre ère.

L'auteur de ce document est Umāsvāti ou Umāsvāmi dont la biographie n'est pas vraiment connue. On sait, seulement, qu'il l'a composé à Patna, dans le Bihār, en Inde orientale. Lui et son oeuvre sont respectés par toutes les sections jaïnes. On considère que c'est un acte sacré que de réciter ces aphorismes textuels en privé et lors du culte dans le temple. Ce livre est lu, les jours de fêtes, avec d'autres, comme le « Kalpa Sūtra » etc. Il est si court qu'il pourrait être facilement mémorisé.

Le « Tattvārtha Sūtra » ne fait pas partie des écritures sacrées jaïnes primitives, mais il est considéré comme le livre qui fait le plus autorité. On peut le comparer à la « Bible » des Chrétiens, au Coran des Musulmans, à « La Gita » des Hindous ou à « l'Avesta » des Zoroastriens. Hautement populaire, il a le plus grand nombre de commentaires, dans différentes langues indiennes, du Vème siècle à aujourd'hui.

Le texte a deux versions, l'une de 344 aphorismes, l'autre de 357. Son contenu concerne les aspects théoriques et pratiques majeurs du Jaïnisme. C'est un document court, mais il le décrit excellemment bien. Il représente un épitome du Jaïnisme.

Le livre comprend dix chapitres d'inégale longueur qui contiennent les aphorismes ci-dessus cités. Le sujet traité n'est pas nouveau, mais il a rassemblé, pour la première fois, dans un système structuré, tous les anciens documents épars du Jaïnisme. Il décrit les réalités dans le monde et leur vraie nature. Son contenu est conforme à son titre.

Les principes jaïns sont décrits là, à la fois psychologiquement et scientifiquement. Il est indiqué que l'objet d'une vie réussie c'est d'atteindre le bonheur intérieur final et éternel. Cela ne peut être obtenu si l'on ne suit pas la triple voie, coordonnée, de la foi juste, de la connaissance juste et de la conduite juste. Cette voie ne peut être atteinte, tant que l'on n'a pas la connaissance juste des réalités du monde. Celle-ci peut être obtenue par son intuition personnelle ou en écoutant, en lisant et en analysant les écritures sacrées. Il est nécessaire que cette connaissance soit très juste. Ces critères ne peuvent être remplis que lorsqu'on évalue les informations, de façon critique, au moyen des différents organes de la connaissance et des différents points de vues. C'est le même procédé que l'on emploie, encore maintenant, pour avoir une connaissance utile.

Le texte décrit, non seulement, les méthodes pour obtenir la connaissance sur le monde extérieur, mais aussi, pour atteindre celle du monde intérieur. Cela exige la purification du corps, de la pensée et de la parole, par les austérités et par la méditation. Durant cette élaboration, l'accent est mis sur les détails des sept sortes de points de vues verbaux et non-verbaux et sur la théorie des prédicats multiples. Ce sont là les bases pour obtenir la connaissance juste.

Dans le chapitre premier, le livre fait ressortir les sept éléments indispensables pour suivre la voie du progrès physique et spirituel. Les deux premiers sont les éléments principaux, à savoir : les êtres vivants (jīvas) et les choses non-vivantes (ajīvas). Le troisième et le quatrième éléments concerne l'afflux des karmas dans l'âme (āshrava) et l'asservissement de celle-ci par eux (bandha). Les karmas sont une partie des vastes variétés de matières (pudgalas) dans l'univers. Leur asservissement est la cause de nos renaissances, ce cycle des désirs et des chagrins dont nous souhaitons tous nous évader de façon définitive. Le cinquième élément concerne les moyens d'arrêter l'asservissement, appelés : arrêt des karmas (samvara). Le sixième élément, c'est d'éradication de l'asservissement par différents procédés, ce que l'on appelle l'effacement des karmas (nirjarā). Le septième élément, c'est la délivrance de l'âme de l'asservissement de tous les karmas que l'on appelle : la libération (moksha). Ainsi, nous avons les sept éléments qui sont : 1) le vivant, 2) le non-vivant, 3) l'afflux des karmas, 4) leur asservissement, 5) leur arrêt, 6) leur effacement et 7) la libération.

Umāsvāti a fait en sorte de ranger ces éléments dans l'ordre qui convient, en respectant le processus qu'ils impliquent et les principes de la psychologie humaine. Les littératures antérieures comportent des variations d'ordre et numériques. Umāsvāti a systématisé ainsi le Jaïnisme dans une séquence logique.

Le premier aphorisme du chapitre premier est « Samyag darshan jnāna cāritrāni moksha mārgah ». C'est, en somme, le résumé du Jaïnisme. Il signifie que la foi juste, la connaissance juste et la conduite juste sont ensemble, uniquement, la voie de la libération. Les trois aphorismes suivants concernent les sept éléments. Le reste du chapitre dépeint le processus de cognition et donne de détails sur les différentes sortes de connaissances ; ceux sur la conduite juste figurent aux chapitres huit et neuf.

Le second, le troisième et le quatrième chapitres traitent de l'âme.

Le cinquième chapitre a pour sujet ce qui n'a pas d'âme ou non-âme (ajīva).

Les sixième, septième et huitième chapitres exposent les différentes sortes de karmas, leurs manifestations, leur afflux et leur asservissement.

Le neuvième chapitre concerne l'arrêt et l'effacement des karmas.

Le dixième chapitre porte sur la libération complète de l'âme (moksha).

Chapitre 22
Introduction à l'Uttarādhyayana Sūtra

Toutes les religions dans le monde ont un certain nombre de textes de base spécifiques, considérés comme leurs livres sacrés. Ils contiennent les instructions pour les ascètes, les procédés et les résultats expérimentés, les principes à suivre et les objectifs à atteindre dans la vie.

Certaines religions ont une série de textes sacrés. Les quatre « Vedas » des Hindous et les trois « Pitakas » des Bouddhistes sont célèbres. Les Jaïns ont, aussi, leurs douze écritures saintes ou Āgamas. Des religions plus récentes en ont une seule : « la Bible » pour les Chrétiens, « le Coran » pour les Musulmans, « l'Avesta » pour les Perses, « le Guru Granth Sahib » pour les Sikhs, etc. Ces textes sont écrits dans diverses langues. Ceux des Jaïns le sont en ardhamāgadhī, la langue parlée par le peuple dans l'ancien Maghada (Bihār) et le Koshala (Uttar Pradesh). Les livres saints jaïns plus tardifs sont en sanskrit et dans d'autres langues.

Il y a deux sortes de textes sacrés pour les Jaïns : 1) les primitifs et 2) les secondaires ou supplémentaires. Les deux contiennent principes et pratiques, bien que les textes primitifs soient les plus importants. Les secondaires ne sont toutefois pas à négliger.

Nous parlerons, ici, de l'un des écrits secondaires les plus importants qui s'appelle l' « Uttaradhyayana sūtra ». Traditionnellement, on dit qu'il contient les derniers sermons du Seigneur Mahāvira. Beaucoup de savants supposent que le texte actuel est une œuvre composite de dates différentes. Toutefois, c'est l'un des documents anciens qui est l'équivalent des textes primitifs.

Ce livre a différentes manières d'exposer les principes jaïns. Ils sont illustrés par des paraboles, des anecdotes, des épisodes et des contes historiques. Le texte comprend 36 chapitres dont un tiers presque est constitué de contes et d'épisodes historiques. Certains des premiers chapitres contiennent les paraboles et les concepts du Jaïnisme. La diversité des méthodes employées rend ce livre hautement illustré et intéressant. On le trouve, maintenant, traduit dans différentes langues : en allemand, en anglais, en hindi, en gujarati, etc. Sa première traduction en anglais a été publiée, en 1895, dans « The Sacred Books of the East » volume 45. A l'aide de ces traductions, tout le monde peut lire, comprendre et juger la valeur du document. Il y a, également, beaucoup de petits et de longs commentaires de ce livre qui ont commencé a être écrits au IX ème siècle de notre ère.

Voyons maintenant le contenu de ce texte important. Il nous dit que la vie humaine est rare et difficile à atteindre, mais que c'est elle qui nous permet de parvenir au bonheur éternel. Il faut donc en faire le meilleur usage. On doit essayer de l'enrichir des plus hautes valeurs humaines et de l'illumination. Le livre conseille aux gens de suivre la vie ascétique qui peut être celle du meilleur bonheur intérieur. Le texte nous dit qu'il y a quatre choses qui sont rares : 1) la vie humaine, 2) les sermons des Jinas, 3) la vue juste ou sensée, 4) la conduite juste des contrôles.

On doit comprendre que Mahāvira a été le plus grand ascète de son temps. Il a eu de nombreux disciples avec la foi et la compréhension qui conviennent. Il a inspiré à de nombreuses personnes de suivre sa voie, comme moyen du bonheur extérieur et intérieur de nature permanente. Il a, aussi, mis l'accent, en tant qu'ascète, sur la voie du détachement où il faut affronter 22 sortes de difficultés. On doit supporter beaucoup d'épreuves physiques et mentales, pour se transformer en un ascète véritable.

L' « Uttarādhyayana Sūtra » nous enseigne beaucoup de choses sur la vie ascétique, en racontant les histoires de Kapila, Nemi, Mrugaputra, Sanjaya, Rathnemi, Jaya-Vyaghosha et de beaucoup d'autres. Elles montrent que la bonne vie ou vie ascétique résulte du bon karma antérieur. On doit donc bien penser et bien agir tout le temps. Le livre nous dit, aussi, que les professions ne doivent pas être considérées comme le droit de la naissance. Elles dépendent de notre formation et de notre activité. Cette idée a été l'une des plus progressistes, autrefois. Un chapitre nous raconte l'histoire d'un ascète qui n'a pas été bien considéré par la haute caste mais que, plus tard, ses sermons lui ont fait accorder confiance. Mahāvira dit que l'ascétisme peut être cultivé sans aucune restriction de caste ou de croyance. C'est la base de l'universalité de la religion.

Le texte dit, aussi, que le manque d'attention et l'indolence ne sont pas bons, de même que trop d'attachement ou d'indulgence. Les ambitions et les désirs des hommes sont sans limites. Ils sont causes d'insatisfactions et entraînent une vie malheureuse. Il faut pratiquer la culture des bonnes qualités qui peuvent modérer les attitudes obstructives. Rester écarté des mauvaises actions et des mauvaises pensées est le meilleur sacrifice que l'on puisse faire.

Un bon nombre de chapitres décrit les principes de base du Jaïnisme. Leur pratique est la pierre angulaire de la purification extérieure et intérieure. La théorie du karma est l'essence du système jaïn. La pratique de l'équanimité (samayika) ou de la méditation est aussi décrite. La théorie des couleurs (leshyas) est l'un des principes psychologiques les plus importants pour refléter notre pensée à travers le halo coloré autour de notre corps. La pratique de la méditation bonifie la pensée et, par conséquent, sa couleur. La blancheur de la couleur indique les bonnes qualités. Sur six types de couleurs, trois sont bonnes et trois sont mauvaises. Nous devons essayer d'avoir les trois bonnes.

Le Jaïnisme est une religion orientée vers l'action mais celle-ci ne donne de bons résultats que si elle est réalisée avec une attention méticuleuse et sans fautes d'omission ou de compromission.

Le dernier chapitre est très important. Il nous donne des détails sur le monde vivant et non-vivant et il traite de physique, de chimie, de botanique et de zoologie. La non-violence est décrite dans les chapitres qui exposent les différentes qualités et les vœux des ascètes.

Table des matières

  1. Chapitre 1 - L'âme et le corps
  2. Chapitre 2 - Kashāyas
  3. Chapitre 3 - Instincts
  4. Chapitre 4 - Ghāti Karma
  5. Chapitre 5 - Aghāti Karma
  6. Chapitre 6 - Āsrava
  7. Chapitre 7 - Samvara
  8. Chapitre 8 - Nirjarā
  9. Chapitre 9 - Cāritra
  10. Chapitre 10 - Praticabilité d'ahimsa
  11. Chapitre 11 - Prière et Dhyan
  12. Chapitre 12 - Rituels et festivals
  13. Chapitre 13 - Pratikramana
  14. Chapitre 14 - Sallekhanā
  15. Chapitre 15 - Anekāntavāda
  16. Chapitre 16 - Le progrès spirituel
  17. Chapitre 17 - Gunasthānakas
  18. Chapitre 18 - Pèlerinages et lieux sacrés
  19. Chapitre 19 - Yakshas et Yakshīnis
  20. Chapitre 20 - La grande ancienneté du Jaïnisme
  21. Chapitre 21 - Introduction au Tattvārtha Sūtra
  22. Chapitre 22 - Introduction à l'Uttarādhyayana Sūtra